- Bête comme ses pieds
- Filer comme un pet sur une toile cirée
- Tomber dans les pommes
- Il y a anguille sous roche
- Chier une pendule
Jacquot avait de grands pieds. Longs comme la berge du canal de la Mouette, et larges comme l’arrière train de Mijette, sa grosse génisse. L’un ( le gauche) se faisait appeler Jeanette (il croyait qu’il était une femme) et l’autre, qui n’avait pas assez d’esprit pour se nommer lui-même, était surnommé par nous autres « Bourriquot », parce qu’un pied aussi sot ne pouvait porter un vrai nom, cela va de soi. Un Nom, ça a une histoire, ça vient de loin, ça a été porté par des gens et c’est encore porté par des gens, et on ne voudrait pas les offenser en nommant un pied aussi ignare après eux, fussent-ils morts depuis mille ans.
Quant à Jeanette, elle n’avait guère plus d’esprit, hélas. D’abord, comment un pied peut se croire une femme, on ne le comprendra jamais, car un pied, qu’il soit de droite ou de gauche, n’ayant pas d’organes reproducteurs -fort heureusement d’ailleurs!- ne peut appartenir à aucun genre, sinon celui de son maître. Mais Jeanette n’en avait que faire, et au grand dam de Jacquot, se maquillait les orteils ! Jacquot, si honteux, n’osait plus regarder ses propres pieds. Pauvre Jacquot. On l’aimait bien. Non pas qu’il était plus malin que ses propres pieds, d’ailleurs il y eût quelques fois où l’on pouvait légitimement se demander s’il n’était pas plus benêt qu’eux, mais il était fort serviable et aimable, et ce sont là des qualités appréciables. Mais hélas, il faut admettre que la sottise associée à la serviabilité appelle souvent le malheur. Oh, ne vous y trompez pas, Jacquot était un homme heureux, autant qu’un sot peut l’être, c’est à dire énormément ! Car le brave homme ne se rendait pas même compte de sa propre misère. Parfois j’en arrive à penser qu’à certains égards, c’est une situation enviable, mais je tais vite cette pensée en repensant à la fin de ce pauvre Jacquot. Une fin terrible.
C’était un beau jour de printemps, et je vous passe le détail des bourgeons de fleurs qui éclosent, des doux rayons du soleil comme une caresse sur la peau érodée par l’hiver, de la pelouse et des feuilles qui verdissent, de la sensation de la brise légère qui glisse dans les cheveux comme un pet sur une toile cirée. En ce beau jour de printemps donc, Jacquot allait pour traire sa grosse génisse dont je vous ai parlé avant pour décrire ses nigauds de pieds. Et c’est là qu’il découvrit, horrifié, l’horrible horreur. La grosse génisse gisait en geignant sur un lit de paille sanguinolent. Face à cette terrible vision, Jacquot perdit l’équilibre et tomba dans les pommes entreposées tout à côté, qu’il avait cueillies de son verger la veille. Et sous ce tas de fraîches pommes se trouvait une roche, sous laquelle encore se trouvait, on ne sait comment, une anguille. Une anguille Electrophorus electricus pour être exact, dont la décharge le fit violemment soubresauter. Était-ce par la violence de la décharge, ou bien par l’horreur de la scène qu’il avait sous les yeux, ou encore par la rencontre des deux, je ne saurais le dire. Mais Jacquot commença alors à se tortiller si fort qu’il semblait s’écarquiller. Ses yeux s’injectèrent de sang. Il se mordit si fort la lèvre inférieure qu’il se la déchira. Sa respiration devint si bruyante qu’on aurait dit un train à vapeur. Mais le pire, c’était son ventre. Il avait déchiré sa chemise et se tenait la panse comme pour empêcher quelque chose d’en sortir. On pouvait voir la peau se soulever par endroits. On aurait dit une femme enceinte sur le point d’accoucher du démon ! Fort heureusement, la chose en lui ne s’obstina pas davantage et changea de route. C’est par le derrière qu’elle sortit. On n’aura jamais vu un anus s’ouvrir aussi grand, car il chia une pendule !