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J’ai lu ici ou là, en hommage à l’acteur décédé, que l’on se souvenait de lui pour avoir l’un des grands « méchants » d’Hollywood, un interprète rêvé de polars, un personnage trouble et ambigu. C’est certainement exact, je ne connais pas assez la carrière de Richard Widmark pour en juger.
Je garde en mémoire cependant au moins un personnage auquel R. Widmark avait prêté ses traits : celui de Fiske, dans Le jardin du diable (Garden of evil pour le titre original). Il s’agit d’un western d’Henry Hathaway qui, si mes souvenirs sont bons, date de 1954. Et R. Widmark n’en est bien sûr pas la tête d’affiche, parce que, comme l’ont dit quasiment toutes les bios qui lui ont été consacré ces derniers jours, il se spécialisait plutôt dans le rôle du anti-héros. Mais justement, Le jardin du diable est d’abord un western qui met en avant ses anti-héros. C’est un anti-western, en quelque sorte. Dont l’argument tient sur trois lignes : coincés dans un village mexicain à cause de la panne du navire qui les ramenait au pays, trois américains (dont Richard Widmark et Gary Cooper) se réfugient dans le seul « troquet » visible. Là, ils voient débarquer une jeune femme (Susan Hayward), américaine elle aussi, dont le mari est resté blessé lors d’un accident de mine et qui vient réclamer de l’aide. Les trois américains acceptent, un quatrième homme, du pays celui-là, se joint à eux. Et voilà. Ah, bien sûr, la fameuse mine en question, c’est une mine d’or. D’où la motivation de ces quatre aventuriers qui ne se connaissaient pas jusque-là.
La cupidité semble bel et bien être l’alpha et l’oméga du scénario, en réalité. Car aucun des personnages n’avance à découvert. Il faudra bien tout le film pour comprendre ce qui anime les uns et les autres, avec de sacrées surprises en cours de route. Les salauds ne sont (presque) jamais ceux que l’on attendait, et la noblesse ira se nicher dans le cœur des plus cyniques. En fait, je suis en train de parler d’un western où il ne se passe rien. L’action est réduite au minimum, se limitant la plupart du temps aux confrontations verbales qui opposent cette femme seule à ses quatre compagnons de hasard ; l’ennemi (des indiens), invisible durant la majeure partie du film, ne tient que le rôle symbolique de deus ex machina ; il achève de révéler les caractères et donne à chaque personnage la possibilité de s’accomplir, dans un sens ou dans un autre. Tu vois où je veux en venir : Le jardin du diable est une tragédie. Limpide, cruelle et envoûtante, comme toutes les tragédies. Quatre hommes se battent pour de l’or, ou peut-être - ou surtout ! - pour une femme. Quatre hommes qui sont en réalité cinq, si l’on compte l’époux dans la mine. Mais elle, quel est son but ? D’ailleurs, n’est-ce pas pour l’or uniquement qu’elle a accepté de se marier ? Et si tel est le cas, pourquoi prend-elle tant de risques afin de sauver un homme qu’elle n’aime pas ? Ces questions, le spectateur se les pose, mais il n’est pas le seul. Dans le film lui-même, les personnages masculins sont très vite et très littéralement hantés par la femme qui les conduit, par sa détermination sans faille, par sa dureté. Je ne dirai pas ici ce qu’il advient de chacun d’eux, au cours d’une aventure forcément dangereuse. C’est juste que Richard Widmark interprète là, à mon avis, l’un des personnages les plus fascinants de sa carrière. Ambigu, cynique et fragile à la fois, il est sans doute le seul à garder à l’esprit le sens de chaque acte commis alors qu’autour de lui tout le monde semble être gagné par la même folie que Susan Hayward. Mais il ne fait rien de cette clairvoyance. Tout comme d’ailleurs, il ne fait rien de sa vie. Il faut avoir vu R. Widmark dans ce film pour comprendre ce que peut signifier, dans la vie de chacun, le mot regret. C’est ce souvenir que je garderai de lui.
Une autre fois sans doute, je parlerai de Susan Hayward. Et des westerns qui ont bercés mon enfance. Mais parfois, un personnage suffit à résumer tout un film ; c’était le cas pour Le jardin du diable, me semble-t-il. Richard Widmark y est inoubliable.