Tribune libre
par François Ruffié, avocat à Libourne
Au moment où la Chambre criminelle consacrait le 25 septembre 2012 (N° 10-82.938) dans un attendu particulièrement clair l’existence d’un préjudice écologique pur, les lobbies industriels et une part de la doctrine s’inquiétaient de l’importance et du devenir des indemnisations accordées aux associations agréées pour la protection de l’environnement de ce chef.
Afin d’éviter une prétendue « captation » de l’intérêt général et un éventuel « enrichissement sans cause » certains proposaient la création d’un fonds ou d’une agence destinés à collecter et répartir les dommages et intérêts liés à la réparation du préjudice écologique.
Au plan pratique, ces présupposés de captation ou d’enrichissement sans cause peuvent largement relever du fantasme, on imagine mal que la ligue de protection des oiseaux utilise les dizaines de milliers d’euros qu’elle a obtenus du procès de l’ERIKA pour ériger une tour à la défense et procéder à l’acquisition d’une flotte de 4X4.
Le montant des indemnités allouées dans cette affaire est heureusement exceptionnel puisque proportionnel à l’ampleur de la pollution et ce seul cas ne permet pas de tirer de conclusions définitives.
Sur le terrain et devant les Cours et tribunaux, depuis une vingtaine d’années les associations agréées pour la protection de l’environnement se constituent partie civile et obtiennent des dommages et intérêts tant au titre de l’atteinte aux intérêts moraux qu’elles défendent qu’au titre de la réparation du préjudice écologique, ce dernier chef est généralement indemnisé sur la base d’un principe de proportionnalité basée, comme l’avait relevé le professeur NEYRET (Cour de cassation jeudi 24 mai 2006, Séminaire « Risques, assurances, responsabilités » 2006-2007 COLLOQUE « La réparation des atteintes à l’environnement »), selon le cas d’espèce sur le mètre linéaire de ruisseau pollué, le mètre carré de nappe dégazée en mer ou le nombre d’individus d’espèce invasive relâchés dans la nature.
Comme le relevait également cet auteur, l’étude de centaines de décisions du fond démontre que cette indemnisation est répartie au prorata de l’implication des parties civiles dans la prévention et le traitement du dommage écologique au titre de l’appréciation souveraine du Juge du Fond.
Il est bien évident et il faut le dire nécessaire, que ces indemnités contribuent à financer les associations agréées de protection de l’environnement.
Il est bien évident qu’une APE qui a vocation à attaquer des décisions de l’Etat ou du Préfet au titre des ICPE, du Conseil Général, du Conseil Régional au titre des infrastructures, des collectivités locales au titre de l’urbanisme se trouve fort mal placée pour solliciter et obtenir des subventions des personnes publiques précitées.
Ces mêmes associations n’en sont pas moins tenues par leur objet social de mandater et donc défrayer permanents ou bénévoles pour participer à une réunion mensuelle du CODERST comportant une quinzaine de dossiers particulièrement lourds, aux commissions des sites, de la chasse et faune sauvage, aux SAGE et SDAGE, aux CLE, à former des observations au cours des enquêtes publiques, à rédiger des DOCOB à suivre des procédures pénales, civiles, administratives et donc à effectuer un travail naturaliste, technique, juridique important quotidien et de terrain.
Un tel effort ne peut être dispensé qu’avec des moyens financiers proportionnels aux dits efforts.
La LPO qui est centenaire, des associations telles que la Société d’étude et protection de la Nature du Sud-Ouest, Manche Nature, FNE MIDI PYRENEES, Charente Nature pour n’en citer que quelques-unes existent et agissent depuis des dizaines d’années et bénéficient d’une légitimité et d’une expertise qu’il serait vain de contester.
Au plan de la responsabilité civile, « saucissonner » la réparation du préjudice environnemental se heurterait aux principe de réparation intégrale au profit d’associations qui tirent leurs droits d’agir d’un agrément Préfectoral ou Ministériel, étant précisé que les conditions de dits agréments ont été très sérieusement alourdies (art R 141-1 et s., Décr. N°2011-832 du 12 juillet 2011).
Au plan de la philosophie du droit, la création d’un nouveau fonds contribuerait à un glissement d’ores et déjà bien amorcé de la dette de responsabilité à la créance d’indemnisation qui consiste à créer un fonds chaque fois qu’un problème de responsabilité civile important apparaît tant afin d’occulter le problème que de marquer une défiance vis-à-vis d’un droit positif et d’un système juridictionnel dont l’Arrêt ERIKA vient justement de marquer la qualité et l’efficacité.
On citera pour mémoire les fonds ou mécanismes d’indemnisation inventés pour la transfusion sanguine, l’amiante, le médiator et mieux encore le FIPOL qui prétend garantir des indemnisations aussi partielles que complexes et toutes aussi longues qu’un processus judiciaire.
L’affaire de l’ERIKA constitue un indéniable succès pour la morale, l’environnement et la théorie générale de la responsabilité civile, le fait de confier de nouvelles missions à un organisme existant dont ce n’est pas la fonction ou de créer un « machin » supplémentaire doté de locaux, de personnel et de frais de fonctionnement aux lieux et places d’institutions existantes régies et contrôlées par la Loi constituerait un pur constat d’échec.
A moins que soit leur existence, leur travail et leur succès qui inquiètent…
François RUFFIÉ
Avocat au barreau de Libourne