"L’Etat, le Loup et l’Eleveur, voilà un titre qui ressemble à celui d’une fable, pourtant dans ces trois mots il est possible de retrouver le loup, dans sa position actuelle, tiraillé - tiré plus exactement - entre l’Etat indolent, le braconnier occasionnel et l’éleveur exaspéré."
La Buvette : Jean-Luc Valérie est l’auteur de « Le retour du loup en Lorraine ». Sur son blog, il suit les observations et les prédations du loup tout en cherchant à comprendre les comportements de déplacement et à déterminer le nombre de canidés présents. Il a une vision très critique de la politique de gestion du loup, mais propose des solutions pour le moins originales.
Ce texte est publié le jour ou plusieurs rumeurs circulent actuellement sur la mort du loup, en Lozère. Le prédateur aurait été abattu, samedi, par un chasseur, sur le causse Méjean.
Opinion - par Jean-Luc Valérie
Jean-Luc Valérie : L’Etat, le Loup et l’Eleveur, voilà un titre qui ressemble à celui d’une fable, pourtant dans ces trois mots il est possible de retrouver le loup, dans sa position actuelle, tiraillé - tiré plus exactement - entre l’Etat indolent, le braconnier occasionnel et l’éleveur exaspéré.C’est aussi et exactement la position actuelle du Groupe National Loup rebaptisé sur mon blog « Groupe Non aux Loups », récemment. Il est assez amusant de constater que ceux qui se présentent en prônant le tir du loup, en totale illusion, et en prônant l’éradication du canidé, n’ont absolument pas réfléchi à la problématique du prédateur.
L’Etat signe les conventions, le loup signe les prédations, l’éleveur signe les désillusions. Les trois personnages de ce court récit (L'Etat, le loup, l'éleveur) sont engagés dans une course dont le rythme devrait être celui du loup, dont le trot lent et enfin rapide va causer, sans une prise de conscience forte, bien des sueurs froides dans de nombreuses préfectures. A court terme.
Manque de transparence
Le manque de transparence nuit à l’éleveur et au loup, bien des mensonges aussi. A la vérité, la transparence de l’Etat, en matière de communication sur les grands prédateurs, se limite à l’introduction d’un bulletin nommé « Quoi de neuf ». Son développement présente des informations partielles et strictement inaccessibles dans la compréhension du phénomène « Canis lupus », au commun des citoyens ou presque. L'état des lieux est plus au moins exhaustif. L'objet ressemble plus à un inventaire (utile néanmoins) qu’à une analyse scientifique pointue, déterminant une prospective d’avenir et les convictions exactes des techniciens de terrain. Le manque de moyens humains engagés est certes un obstacle important.Je ne vais pas exposer les déclarations dans la presse régionale et nationale qui sont empreintes, parfois, de contrevérités, voire de proclamations mensongères orchestrées par les directions régionales concernées. Et cela, en toute incompréhension, puisque la transparence permet de présenter une vision d’ensemble indispensable qui prête donc aux responsabilités, celles de l’Etat, mais aussi celles de l’éleveur car à mon sens certaines situations sur le terrain révèlent que laisser pourrir une situation de prélèvements intense serait la solution à l’éradication du canidé. La solution qui s’impose de source serait donc le fusil. Erreur de réflexion notoire!
Bien des désillusions aux éleveurs, car le berger n’est plus seul concerné à ce jour.
Va-t-on administrer le retour du loup en plaine de la même manière, totalement calamiteuse, que ce qui fût fait dans les zones de montagne? C’est à dire dans le désordre le plus souvent :
- Nier les réalités naturelles durant des mois, voire des années (Le loup est arrivé officiellement en 1992 dans le Mercantour alors que les premiers indices de présence datent de 1987, au plus tard).
- Attendre des preuves formelles et des expertises ADN durant des mois, voire des années. Expertises inutiles pour confirmer la présence du prédateur et qui ne sont pas toujours rendues publiques.
- Instiller quelques mesures désuètes de mise en protection des troupeaux, afin d’organiser les faire-valoir indispensables aux préfets,
- puis prononcer des autorisations de tirs, invariablement, en laissant se développer un braconnage qu’il est possible de qualifier « d’intense » et dont les conséquences connues sont globalement sans résultat ou presque, en dehors des déplacements de population de loups. Le tout en laissant en l’état, une situation, actuellement, ingérable.
Un exemple : sur le massif vosgien, la présence du loup en nombre est connue depuis novembre 2010. A ce jour dans un département qui compte 49.000 ovins, il y aura au plus en 2013… 4 chiens Patou en fonction, alors que les effectifs sont arrivés, comme cela était prévisible, en plaine, après seulement 18 mois de présence sur le massif.
La progression du grand prédateur sur le territoire national est inéluctable
L’Etat dans le rôle de la tortue, le loup dans son propre rôle, l’éleveur dans celui du lièvre, vont devoir s’adapter au plus vite. Faute de vouloir admettre, comme depuis 20 ans, que la progression du grand prédateur sur le territoire national est inéluctable, que son retour va se faire, en plaine aussi, dans la plus grande douleur.Quand va-t-on se décider sérieusement à expérimenter scientifiquement la mise en protection des troupeaux? A étudier intensément les déplacements du canidé, à faire de la prospective de développement de l’espèce? Face au grand prédateur, la présence de l’homme ne suffit pas, même armé d’un fusil!
Malheureusement, les premières déclarations du GNL vont complètement à l’encontre des intérêts des éleveurs, qu’ils soient ovins, caprins ou même bovins. C’est presque une erreur historique.
Faire croire que l’on va contenir le loup, exclusivement dans des lieux désignés par les représentants de l’Etat est une ineptie en totale contradiction avec les habitudes de déplacement du canidé sauvage, en totale dénégation des réalités naturelles. Ces idées niaiseuses, laisseront bientôt un gout amer, dans la bouche de ceux qui les ont prononcées. Il serait juste, le moment de débâcle venu, que ces paroles inconsidérées appellent à la démission.
Faire croire, qu’il est possible de contenir le loup par des tirs de défense et de prélèvement est tout aussi utopique et constitue une mise en danger des éleveurs en général. Il va se développer, dans ces conditions sordides, ce qui s’est exactement passé au niveau régional, l’Etat, le Groupe Non aux Loups et autres syndicats moins reconnus vont pousser le grand canidé chez le voisin, d’une région à une autre.
Protéger globalement et anticiper
Sauf à vouloir éradiquer l’espèce une nouvelle fois, il ne reste à ce jour, faute d’anticipation, d’expérimentation, de prévision, d’organisation, et de moyens conséquents, qu’une seule option viable pour l’élevage en général : envisager une mise en protection globale des troupeaux en anticipant les déplacements du prédateur à court terme.Cette mise en protection globale nécessite, après une analyse globale et poussée de la situation, au niveau national :
- de définir des zones prioritaires d’action à partir d’une cartographie exacte qui pourrait, en temps réel, et de manière transparente, recenser toutes les suspicions, avérées ou non, de présence du canidé. Action dont le seul but serait de mettre en protection avant l’arrivée du canidé, seul ou en meute, toutes les proies domestiques concernés.
- Une ou plusieurs équipes de spécialistes motivés (pourquoi pas des éleveurs, des chasseurs, des naturalistes), formés, équipés et budgétés, capables d’expérimenter des solutions nouvelles qui seraient alors déployées sur le terrain, afin d’anticiper et de collecter les données nécessaires à la compréhension du loup et afin de mettre en protection les potentiels de proies concernés.
Le loup est en place. Les tirs décidés pour des raisons strictement politique, vont pousser le prédateur, une fois de plus, vers de nouveaux horizons. Les temps du loup sont en marche!
Perte, déshonneur et aveuglement
Les faits sont avérés. La politique passée, présente et vraisemblablement future, en matière de gestion du retour du grand prédateur, pousse l’éleveur aux pertes, le loup au champ de tir, l’Etat au déshonneur et le citoyen à l’aveuglement. Comment peut-on, à ce point, être dans l’erreur? Alors que les techniciens de l’ONCFS ont, depuis 20 ans, rassemblé des montagnes d’informations sur les positions du canidé.En résumé, l’Etat fait l’aveugle, le loup fait les gros titres dans la presse régionale et nationale, l’éleveur fait le sourd. Cette situation obscure mène justement le loup vers nos plaines, poussé vraisemblablement par l’homme, le braconnier, le traqueur ou même le chasseur. Or l’animal n’aime pas être dérangé.
Aujourd’hui, la colonisation des régions de plaine
Au même titre naturel, que ce qui s’est développé en Lorraine, il est possible de croire aujourd’hui que le loup va conquérir, très rapidement, de nouvelles régions de plaine. Entre autres régions:
- la Champagne-Ardenne, très récemment en provenance, de l’ouest vosgien,
- la Bourgogne, vraisemblablement dans l’année à venir,
- la Franche Comté de manière plus intense en provenance de deux fronts.
- Les Vosges lorraines et la Savoie. L’Alsace est déjà en voie de colonisation depuis plusieurs années. Le développement vosgien est certainement en rapport avec un double phénomène de dispersion, individuelle et en meute!
- Plus au sud, l’Auvergne est en voie de reconquête, le loup étant poussé par des tirs de défense cévenols, dont il sera dit plus tard, c’est certain, qu’ils ont contribué à la dispersion du grand prédateur, comme ailleurs.
- Le Limousin est sur la liste d’attente et l’attente sera courte.
En bleu et en orange : la progression du prédateur, sous pression de chasse à 5 ans au plus.
C’est tellement évident! Traquer le loup, c’est accélérer sa dispersion tout comme la dispersion de la rage fut la conséquence des nombreuses battues organisées, autrefois, dans le but d’éradiquer le canidé.
Il n’y a aucune inquiétude à avoir pour le loup. Seuls les éleveurs seront en première ligne. Les prélèvements en plaine seront rapidement insupportables dans les années à venir, si l’Etat néglige encore la mise en protection des troupeaux.
Cela conduira à terme, sans réaction rapide, à une politique de radicalisation des tirs de prélèvements. Et à une dispersion des effectifs qui deviendra, rapidement, totalement incontrôlable!
Le loup est un grand prédateur, un carnassier dont les capacités ne sont pas prises en compte : adaptation à tous les milieux y compris urbains, exploitation sectorisée et intelligente des zones vitales, capacités de déplacement exceptionnelles, connaissances et mémoires géographiques des secteurs investis, gestion des ressources de proies, comportements de chasse adaptés (entre autres à la météo) qui font de l’animal sauvage un prédateur imperceptible et souverain pour l’éleveur et même pour la très grande majorité des chasseurs. Qui aujourd’hui maîtrise la chasse au loup? Un bon coup de fusil ne suffira pas à se débarrasser du prédateur.
Un nouveau problème de gestion du loup surgira tout aussi brusquement. L'anthropisation des milieux commence déjà à jouer un rôle important, dans la dispersion du canidé. Il est dors et déjà acquis qu’effectivement certains lieux ne sont plus adaptés à une présence complètement permanente du loup. Le loup lui n’en aura cure! Il va donc être plus mobile encore que dans le passé, en particulier s’il est établi en meute, car le premier besoin vital du loup est bien de vivre en groupe, dans un climat de tranquillité qu’il ne retrouvera pas partout, c’est une certitude. Prôner les tirs consiste à créer les conditions favorables à une situation pénible pour l’élevage dans toute sa diversité.
Il faut donc tirer et tirer toujours !
Nous sommes encore, après plusieurs siècles d’obscurantisme, devant ce même constat d’hébétude. En traçant une ligne entre la Belgique et le sud-ouest du territoire, il est facile de se rendre compte de ce que sera le territoire national reconquis par le carnassier dans à peine, 5 ans.En Belgique, le loup aurait été aperçu à Gedinnes et à Philippeville. En Allemagne, des loups, originaires de Pologne, ne sont plus qu’à 150 km de la frontière belge. Après avoir migré vers le nord, le loup gris migre vers l’ouest (et le sud pour les loups allemands). La perspective d’une mise en concurrence des deux sous espèces augure d’une guerre de territoire qui pourrait accélérer la dispersion de « Canis lupus italicus » sur tout le territoire national, sans exception !
Même si localement les effectifs du carnassier pourraient être en baisse. Plus les tirs seront nombreux, moins les solutions pérennes seront expérimentées et mises en place, plus les élus et syndicats d’éleveurs seront dans l’attentisme, plus les animaux domestiques seront en danger, plus la gestion du retour du canidé sera financièrement insupportable.
Rien n'a été prévu pour anticiper les capacités de déplacement du canidé.
En plaine, les pertes seront nombreuses, comme en Lorraine en 2012. Là sera certainement le premier dysfonctionnement, révélateur d’un avenir sombre, si les mesures adéquates ne sont pas prises (protection organisée des troupeaux). Le loup est un rythme, dans son mode de vie, en meute et en particulier dans ses déplacements, qui ne sont certes pas aléatoires. Mais il est aussi et surtout un incompris, faute d’investigation scientifique sur le comportement animal du grand prédateur, au niveau national.
Si l’Etat est incapable de faire preuve d’anticipation, c’est peut-être parce certains comportements du loup sont mal connus, par des techniciens tiraillés entre chasseurs et fonctionnaires de la DDT. Mais il ne faut pas généraliser cette affirmation. Les études adaptées et nécessaires restent à mettre en place rapidement, d’autant plus quant il est affirmé, totalement stupidement, que le loup doit être exclu de certains milieux (par exemple pour le Parc National des Cévennes). Belle utopie et politique mensongère qui mènera le pastoralisme à sa perte! C’est une certitude. Tirer le loup, c’est achever lâchement l’éleveur, à moyen terme!
Le réseau loup involontairement complice?
A ce titre je ne comprends pas l’implication des bénévoles du « réseau loup » puisque globalement il est possible d’affirmer aujourd’hui, après les déclarations d’intronisation du Groupe Non aux Loups, que participer localement aux actions du réseau ne sert pas le canidé. Dénombrer les effectifs, permet de fait, d’organiser les futurs tirs instaurés par l’Etat. Ce qui, de plus, n’a aucun effet sur le désengagement de l’administration, en matière de protection des espèces. L’espèce Canis lupus italicus est largement braconnée!
Doit-on inviter les bénévoles à cesser toute collaboration avec un organisme « cynégético-étatique » dont les déclarations publiques au niveau régional sont sommes toutes trop souvent en dehors des réalités connues ou naturelles?
Alors que les éleveurs de montagne ne sont toujours pas complètement préparés, est-il possible de penser :
- que les prédations du loup seront fortes à très fortes en plaine?
- que l’éleveur têtu qui persistera à faire le déni des moyens de protection connus sera prélevé plus souvent et en plus grand nombre?
- que l’organisation des parcs et estives doit être à la mesure des capacités du prédateur, dans une collaboration étroite entre tous les éleveurs? Mais que font donc les syndicats concernés?
- que le bon sens affirme que la mise en protection globale des troupeaux, ovins, équins, bovins, caprins, car ils seront tous concernés, est un impératif, avant même l’arrivée du prédateur!
- que les moyens à mettre en œuvre permettront, de fait, de réduire de manière forte les futures compensations de perte sous prédation?
- que l’anticipation à moyen terme ne couterait finalement guère plus que la politique actuelle qui ne permet à l’éleveur que de subir, jours après jours, semaines après semaines, parfois mois après mois, les mêmes pertes. En toute incapacité de se défendre, le plus souvent. Qu’il soit armé ou non !
Faire croire le contraire, même dans la plus grande méconnaissance des modes de vie du canidé, est une infamie coupable.
Compter les loups ne suffit plus
Le développement inconsidéré des ongulés permet au canidé de migrer et de prospérer durablement Il doit être possible avec les moyens nécessaires de mettre en place un système d’alerte transparent permettant d’analyser les déplacements passés du loup tout en émettant des prévisions des déplacements futurs, afin d’organiser largement la mise en protection des troupeaux, au bon moment et au bon endroit. Cette « prévision météo » du loup pourrait permettre d’anticiper à bon escient. Les relevés et données invisibles de l’ONCFS doivent permettre de mettre en œuvre rapidement des modèles simples et fiables dont le technicien gardera seul et en finalité la totale maîtrise et l’initiative du terrain.Commençons donc par lever le devoir de réserve des agents concernés, par supprimer les contrats précaires. Doublons les personnels en invitant les chasseurs qui versent chaque année des sommes colossales en compensation des dégâts du gibier à s’investir un peu plus dans le dossier loup.
- Contraignons, s’il le faut, les chasseurs à respecter des attributions, en forte hausse, de chasse aux ongulés, car si le loup s’installe c’est en premier lieu parce que le gibier pullule, ce qui lui permet de survivre et de se déplacer en période hivernale.
- En second lieu protégeons efficacement les troupeaux car la politique actuelle, les faits connus le prouvent, favorise l’avancée du canidé sur tout le territoire.
- Ouvrons les bases de données au public, dans toutes leurs profondeurs, afin que le loup ne reste plus un vulgaire secret d’initié dont certains ont fait un loisir.
- Expérimentons les nombreuses races de chien de protection existantes. Elles réservent surement de bonnes surprises pour l’éleveur, le berger et son aide.
- Expérimentons des procédés naturels contre le prédateur. La géographie du terrain, la présence de points d’eau et de reliefs, ont leur importance : un fossé profond, entretenu et alimenté en eau, pourrait être expérimenté, une haie d’épineux bien placée.
- L’utilisation de plusieurs espèces domestiques sur une estive, ou dans un parc pourrait permettre de limiter les prélèvements du canidé. Un chien de protection, capable de quitter le parc, de nuit, pour y revenir, afin d’intercepter le canidé avant son arrivée sur les bêtes, par exemple, serait bien utile.
Jean-Luc Valérie