(UK) Callan : l'espion récalcitrant

Publié le 16 décembre 2012 par Myteleisrich @myteleisrich

Vous connaissez mon faible pour les fictions d'espionnage. Pas le clinquant glamour d'un James Bond, mais plutôt ces récits sombres, riches en manipulations, en jeux d'espions froids et calculés, où la frontière morale est toujours floue. La télévision anglais a produit au fil des décennies plusieurs perles appartenant à ce genre à rapprocher des romans de John Le Carré. Dans les années 70, Tinker, Tailor, Soldier, Spy (La Taupe) sur la BBC et The Sandbaggers sur ITV restent deux bijoux, incontournables, dont je vous ai déjà parlé. Au printemps dernier, j'avais eu un vrai coup de coeur pour The Sandbaggers qui demeure une des meilleures séries que j'ai eu l'occasion de voir en cette année 2012. Logiquement, j'ai donc voulu poursuivre mes explorations, et j'ai continué à remonter le temps, changeant encore de décennie : direction les années 60 !

Après avoir vu The Sandbaggers, j'avais demandé quelques conseils : un grand merci à Thierry Attard pour m'avoir suggéré la série, inédite en France, dont je vais vous parler aujourd'hui. Créée par James Mitchell, Callan a été diffusée sur ITV de 1967 à 1972, comptant 44 (seuls 3 épisodes restent conservés de la première saison). Le personnage sera porté sur grand écran en 1974, et fera une ultime apparition dans un téléfilm de 1981. Initialement proposée en noir et blanc pour ces deux premières saisons, les dernières seront en revanche en couleur. Plusieurs éditions DVD sont disponibles en Angleterre, séparant ces deux périodes : The Monochrome Years d'une part, The Colour Years d'autre part. J'ai investi dans le premier coffret, et c'est comme ça que j'ai donc découvert une série dont le pilote a été diffusée pour la première fois en... février 1967 !

Dans le pilote de la série, intitulé A Magnum for Schneider, David Callan est rappelé par son ancien chef, le colonel "Hunter". Longtemps considéré comme un des meilleurs agents d'une mystérieuse organisation gouvernementale connue sous le nom de "The Section", il a été renvoyé parce qu'il avait pris l'habitude de trop s'intéresser à ses cibles, enquêtant sur elles et questionnant les missions qui lui étaient confiées. Or The Section a pour but de faire disparaître toute personne posant un danger pour les sujets britanniques ; elle ne recule devant aucun moyen, qu'il s'agisse de chantage, d'extorsion ou bien d'exécution. En résumé, elle est celle qui se salit les mains quand aucune autre agence gouvernementale ne souhaite intervenir.

Le colonel "Hunter" s'interroge sur le statut de Callan, qui est à la fois leur plus efficace tueur, mais aussi un agent trop instable et un risque permanent qu'il n'est pas certain de vouloir prendre. La saison 1 illustre bien cette ambivalence : dans le premier, Hunter confie à Callan la mission de tuer un homme d'affaires échappant aux autorités, avec comme objectif de mettre son agent à l'épreuve, quitte à s'en débarrasser au cours de l'opération en le précipitant entre les mains de la police. Dans le second épisode, Hunter revient vers Callan cette fois-ci en jouant carte sur table : ou il remplit la mission confiée (délivrer un ex-SS aux Israéliens), ou il devient lui-même une cible pour l'agence.

Une bonne part de la fascination qu'exerce immédiatement la série tient au personnage de Callan, véritable modèle d'anti-héros, difficilement classable pour le téléspectateur tant son ambivalence apparaît exacerbée. Tueur rompu à ce métier, doté d'un savoir-faire clinique remarquable, il a toutes les qualités requises pour être un agent d'exception pour The Section. Mais il pense et réfléchit trop au goût de ses supérieurs. Le masque de froideur grâce auquel il peut mener à bien les infiltrations et les manipulations les plus dangereuses se fissure parfois brusquement pour laisser place à ses questionnements. Il est d'ailleurs capable de développer une profonde empathie envers ces cibles, oscillant alors dangereusement sur la ligne entre professionnalisme et humanité. Sa versatilité d'état d'esprit permet d'entrevoir avec une intensité marquante tous les doutes qui l'assaillent. Vulnérable dans ces moments où sa détermination vascille, l'homme dévoile au fil des épisodes une psychologie complexe et nuancée proprement captivante.

De manière générale, l'ambiguïté semble être le maître-mot de la série. Le colonel Hunter se méfie de lui, mais dans le même temps, il reconnaît sans mal qu'il est leur meilleur tueur. Toute la question est de savoir jusqu'où peut-il utiliser les talents de Callan, et à partir de quand le risque pris devient-il trop important. Dès le deuxième épisode, les menaces se font directes : si Callan n'exécute pas la tâche confiée, il deviendra lui-même l'objet d'une des missions d'élimination de The Section. Sans aucun statut officiel - il a été renvoyé -, l'homme est forcé d'agir sous la contrainte. Pourtant, excellant dans ce qu'il fait, ses réflexes reviennent toujours comme une seconde nature. Il tente d'ailleurs à l'occasion de s'émanciper, démontrant à Hunter toute sa dangerosité, mais aussi - paradoxalement - pourquoi il reste un agent incontournable qui, si les bonnes pressions sont exercées, reste utile à l'agence. Si Callan se découvre encore avec plaisir aujourd'hui, c'est aussi justement parce que la noirceur de l'univers dépeint, qui ne dépaillerait pas parmi les anti-héros dits "modernes", lui a permis de tgrès bien traverser les décennies. Les épisodes demeurent construits efficacement et, en dépit de quelques lenteurs propres à son époque, la solidité de l'écriture est intacte : la série sait générer une tension et une nervosité qui fonctionnent toujours.

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Sur la forme, nul doute que ces premiers épisodes trahissent leur âge. Si  le thème musical récurrent les hante avec toujours autant de force, la qualité de la vidéo est aléatoire, le transfert sur DVD des originaux laissant entrevoir quelques limites. Pensez que The Monochrome Years nous fait remonter en 1967 et 1969, pour les deux premières saisons. Certains épisodes paraissent tout juste sortis des obscures archives d'où on les a exhumées, avec leurs défauts techniques, ce qui ajoute un certain cachet d'authenticité face à un tel support. Et tant que le scénario s'apprécie pareillement, l'effort fait pour nous proposer de découvrir de telles séries mérite avant tout d'être salué : c'est une sorte de plongeon dans les archives sériephiles.

Enfin, il faut terminer par rendre un hommage appuyé à la performance délivrée par Edward Woodward (plus connu sans doute dans les mémoires internationales -notamment auprès du public américain- pour The Equalizer). Si le personnage de Callan a tant pu marquer, c'est non seulement dû à l'écriture teintée d'ambivalence des scénaristes, mais c'est aussi grâce à l'impressionnante interprétation de l'acteur. Il parvient à capturer, en imposant une présence très intense à l'écran, toute l'ambiguïté de ce maître-assassin dos au mur, trop doué pour pouvoir être rendu à la vie civile et exécutant avec un savoir-faire à part les missions qui lui sont confiées. 

Bilan : Découvrir Callan en 2012, c'est se retrouver happé par la figure d'un anti-héros ambivalent, évoluant dans un univers extrêmement sombre où chacun manipule l'autre. C'est se laisser capturer par les rouages d'un scénario remarquable d'ambiguïtés, magnifiquement sublimé par une performance d'acteur qui se savoure. Il faut noter que la construction globale des missions reste d'une efficacité rarement prise en défaut, en dépit d'un rythme avec quelques lenteurs signe l'âge de la série. Quant à la mise en scène datée, elle n'est pas un obstacle à l'appréciation de la série.

Dans la lignée des grandes fictions d'espionnage (ou plutôt, parmi les oeuvres de référence d'origine !), Callan fait preuve d'une nuance et d'une noirceur maîtrisées qui n'ont pas pris une ride et s'avèrent bien plus aboutis que certains ersatz indigestes récents comme Hunted cet automne. Pour qui apprécie le genre espionnage, il s'agit d'une découverte qui mérite d'être curieux (à condition d'être anglophone, les DVD ne comportant pas de piste de sous-titres anglais) !


NOTE : 7,5/10


Pour un aperçu, un extrait qui pose bien le ton de la série :