Pierre FOGLIA, Trois livres (extraits) La Presse, 11 décembre 2012.
Les hasards... Voilà-t-il pas que Pierre Foglia et moi partageons, presque simultanément, les mêmes lectures. Il me double de vitesse au moment où je suis sur le point de vous dire tout le bien que je pense des récents carnets d'André Major, Prendre le large et où je suis plongé avec ô combien de joie dans son premier recueil : Le sourire d'Anton ou l'adieu au roman, dont le commentaire suivra, un jour, un jour :« Je vous ai déjà dit tout le plaisir que je prenais aux Carnets d'André Major, je vous le redis avec plus d'enthousiasme encore: il vient d'en réunir d'autres sous le titre Prendre le large, qui couvrent les années 1995-2000 et qui distillent la même prose économe et précise que les premiers.
"On n'en a jamais fini avec le souci d'exprimer justement et clairement une pensée qui a émergé d'une grande confusion", note-t-il quelque part. Pour la confusion du départ, je ne saurais dire, mais pour la justesse et la clarté à l'arrivée, on ne trouvera pas, dans toute la littérature québécoise d'aujourd'hui, de petites proses plus claires, mieux tirées au cordeau que celles de ces carnets.
C'est drôle comme je me sens à la fois très loin de cet écrivain (de son cercle surtout, Archambault, Brault), loin et pourtant très proche de ses mots, de ses promenades en forêt, de la plupart de ses lectures, Cioran, Ferron, McCarthy, Harrison, Tolstoï, qui vont de soi, mais aussi des Walser, Sebald, Georges Perros, Umberto Saba - Saba que je croyais être seul à lire ici. C'est à moi, Saba, bon. Une fois, je suis allé à Trieste pour aucune autre raison que Saba.
C'est drôle parce que Major appartient à cette engeance d'écrivains qui méprisent le plus les médias, dont je suis assurément, à leurs yeux, un des plus tôtons totems, or ses petites proses me collent à la peau comme s'il les avait écrites exprès par amitié pour moi, comme des mitaines qui ne feraient qu'à moi. Par exemple, parlant de ses promenades, il dit se sentir devenir l'objet de son observation, c'est aussi ma prétention quand je prétends qu'à vélo, je ne traverse pas les paysages, j'en deviens partie.
En terminant, je vous avertis, M. Major, je vous emprunterai bientôt, mot pour mot, la seconde entrée de votre carnet de 1998, ceci : "La perspective de ne plus compter pour grand-chose dans le milieu littéraire (que je remplacerai par "dans le milieu des médias") loin de m'être pénible me sera douce revanche si elle me permet de redevenir ce passant anonyme que j'ai toujours porté dans mon coeur comme un frère jumeau, sinon un alter ego."
Comme pour vous, ce sera presque vrai. »