Obtenir une table chez Noma relève de l’exploit : les réservations ne sont ouvertes que quatre fois par an. Alors, à moins de bosser chez SFR ou dans un call center, le quidam aura déjà explosé son forfait millenium avant d’entendre à l’autre bout du fil « hallo », puis le « ja » salvateur. A l’autre bout de l’Europe, dans le Noma’s land, une charmante voix note votre nom, prénom, numéro de passeport, heure d’arrivée et surtout vos « do » and « don’t », ces précieux élements avec lesquels les armées du Noma prépareront dans leur QG magique, l’expérience culinaire qui restera très longtemps gravéee dans votre mémoire.
Noma est sans (trop) de conteste le meilleur restaurant du monde, et a su le rester depuis trois ans. C’est aussi sans doute le meilleur argument de vente de l’office du tourisme de Copenhague, avec la petite sirène et Tivoli. On a donc suivi le guide, en commençant par là. « Là », c’est à fleur d’eau, tout au bout des docks du quatrier de Christianshavn d’où partaient les bateaux vers les îles Féroé. « Là », c’est l’entrepôt où René Redzepi, après être passé par The French Laundry et El Bulli (rien que ça) a posé ses casseroles pour réinveter le goût dans un esprit locavore chasse-pêche-cueillette façon nordique. « Là », aujourd’hui, et pour quelques heures, c’est chez vous. Festen.
Noma, c’est un peu Noël réussi : chaque plat surprend sans jamais décevoir. Le goût n’est jamais celui auquel on s’attend quand on regarde l’assiette, ce qui demande c’est sûr, une certaine gymnastique des neuro-transmetteurs. Le repas, vingt plats, est organisé en deux parties : une première série d’amuse-bouche avec les doigts puis une farandole de plats plus consistants servis à l’assiette, desserts inclus, à accompagner de sept vins ou de sept jus de légumes et fruits. Pour ne rien rater, on a testé les deux versions.
On débute par les « Nordic coconut », de grosses pommes de terre crues évidées qui accueillent un bouillon parfumé qu’on slurpe avec une paille d’angélique.
On poursuit par une balade en forêt avec de la mousse (si, si) parfumée à la cendre de trompettes de la mort…
…puis on approche de vous le vase de fleurs posé sur votre table. C’est gentil merci.
Vous avez vu? Les branches sont en pain de malt parsémé de genièvre à tremper dans la crème fraîche.
Défilent ensuite la les chips de peau de porc laquée au cassis présentée façon maki, les moules bleues dont on mange la coquille, les œufs de caille fumés au foin devant vous, inspiration de Christiana sans doute…
et la feuille d’oseille à la pâte de criquet sur neige de capucines (oui, Madame), la carotte confite et le poireau brûlé façon sarcophage.
Wahou. Une gorgée de bière à la sève de bouleau (pour les workaholics), et c’est reparti.
Le festin de Babette continue, les lenteurs de la fin en moins et la lumière en plus. Fromage blanc aux myrtilles, crabe au jaune d’œuf et herbes et toast d’oursin sous une fine pellicule goût canard (fiche technique numero 25), qu’on boit avec un jus frais concombre-aneth. Accords tout simplement extraordinaire.
On reprend les couverts pour les betteraves confites aux prunes, les tranches d’huitre géante au babeurre et groseilles à maquereau et le choux fleur au barbecue et branches de sapin. Christmas spirit.
Une lampée de jus de carottes au genièvre pour patienter jusqu’à l’arrivée du nem de perche au choux, coulis de verveine, et c’est le magret de canard aux poires et feuilles de bouleau qui clot le chapitre salé.
Les dessers sont tout simplement prodigieux : écailles baies rouges, fromage frais et paillettes de cassis puis compote de prune, purée de pommes de terre et crème d’amondon de noyaux : les trois quenelles une fois dans la bouche ressuscitent exactement la saveur et la texture de la tarte aux fruits.
Un café et des petits fours (chips de pomme de terre au chocolat noir et fudge facon toast : mais comment font-ils ?) achèvent l’expérience…du palais seulement. Pour les yeux, ça continue dans les coulisses.
Vous ne croyez tout de même pas qu’on allait partir sans faire le tour des cuisines pour avoir les réponses à nos questions? Sûrement pas. Mais ce qu’on a vu à Copenhague reste à Copenhague. On peut juste vous dire que René prépare des nouvelles inventions dans son labo et que les cuisiniers sont autant recrutés pour leur talent que pour leur physique et leur gentillesse.
Ce teaser vous encouragera sans doute à booker vor A/R encore plus vite. Quant à moi, je vais peut-être faire un bilan de compétences…
Où : Strandgade, 93, DK-1401 Copenhague, Danemark
Quand : Hélas, c’est pas trop vous qui décidez
Avec qui : Kierkegaard, Karen Blixen, Laars von Trier, Hamlet
A vos pieds : des Uggs
Dans votre ipod : Bryan Rice, There for you