"You get to the top, and you realise, it's really only the middle."
(Tom Dawkins, Premier Ministre)
Je vous parlais il y a quelques semaines de la très intéressante mini-série A Very British Coup, thriller politique pessimiste particulièrement happant des années 80, inspiré du roman éponyme d'un député britannique de l'époque, Chris Mullin. Channel 4 s'est proposée durant le mois de novembre de moderniser ce récit, en se réappropriant librement ces interrogations sur le pouvoir réel derrière le pouvoir politique. Cette nouvelle mini-série, Secret State, compte 4 épisodes.
Fiction ambitieuse, aux thèmes multiples, elle n'aura pas su mener sa démonstration jusqu'au bout, cédant trop souvent à une surenchère et à une escalade dans la complexification des intrigues au fil de laquelle le propos même de l'oeuvre s'est un peu dilué. Cependant elle n'en reste pas moins un honnête thriller, globalement prenant.
Secret State débute à la suite d'une tragédie. Un accident industriel dévaste un petit bourg et fait plusieurs dizaines de victimes. Ce sont les installations d'une entreprise de pétrochimie, PetroFex, qui ont provoqué cette catastrophe. Après le choc et le temps du deuil, le Premier Ministre britannique s'envole pour les Etats-Unis pour négocier avec le géant pétrolier une compensation pour les citoyens britanniques touchés. Mais, sur le chemin du retour, son avion disparaît des écrans radars. L'épave est ensuite retrouvée, sans survivants.
Alors que le pays est en pleine période électorale, le vice-Premier Ministre, Tom Dawkins, est contraint de prendre les choses en main pour assurer à la fois l'assise de son parti et la conduite du pays. Cependant l'affaire PetroFex ne fait que commencer, et ses ramifications vont bien au-delà de ce qui pouvait être imaginable. En plus de devoir rechercher les causes de l'accident industriel, les services de sécurité doivent enquêter sur la mort du Premier Ministre. Les réponses offertes ne satisfont pas Tom Dawkins. Dans sa quête pour la vérité, il va se trouver confronter à des forces d'un système dont il n'est que le leader apparent.
Secret State bénéfici tout d'abord d'un sujet particulièrement intéressant, ayant beaucoup à dire sur la réalité de nos démocraties modernes et sur ses illusions. Là où A Very British Coup s'inscrivait dans un contexte particulier de prise de pouvoir d'un parti travailliste socialisant à une époque où l'URSS n'était pas encore tombée, Secret State modernise ses problématiques en évoquant pêle-mêle les enjeux énergétiques et pétroliers, le pouvoir de la finance et des banques, mais aussi le spectre du terrorisme et des guerres énergétiques du Moyen-Orient. Entre le thriller politique, la fiction conspirationniste, le tout saupoudré de journalisme d'investigation et d'espionnage, la mini-série jongle avec ces différentes thématiques. Le fil rouge de l'ensemble est le nouveau Premier Ministre britannique, Tom Dawkins, qui manoeuvre comme il peut au milieu de ces intérêts contradictoires. Il est un homme de principes, mais surtout une figure isolée dans un monde où le politique s'efface devant la puissance d'autres pouvoirs de l'ombre, et où une oligarchie qui n'a jamais de comptes à rendre au peuple s'active et sert ses propres intérêts.
Avec son récit dense et une histoire complexe, Secret State retient l'attention du téléspectateur, et s'avère dans l'ensemble globalement efficace. Pourtant, elle laisse malgré tout un arrière-goût d'inachevé. L'ambition du scénario est manifeste, voulant englober toutes les problématiques actuelles des enjeux géostratégiques à la finance internationale. Mais la mini-série tend à verser dans la surenchère. Complexifiant à outrance certains développements de l'histoire, multipliant les interventions de protagonistes qui ne trouvent pas toujours leur place, Secret State donne parfois l'impression de tout survoler sans être capable d'aller vraiment au fond des choses. Ainsi, si son propos, passionnant, trouve indéniablement un écho particulier à l'heure actuelle, la démonstration aurait vraiment gagné en force à faire plus simple et percutant. Vous m'objecterez qu'il vaut sans doute mieux une fiction qui pèche par excès de richesses qu'une oeuvre creuse et vide, cependant il est frustrant de voir laisser inexploité ce vaste potentiel juste effleuré dans la précipitation avec laquelle tout est traité.
Sur la forme, Secret State est une mini-série parfaitement maîtrisée. Sa réalisation est soignée, et le format choisi, le même que Top Boy l'an passé sur Channel 4 également, étire l'image dans sa longueur dans un style cinématographique inhabituel pour le petit écran, mais qui apporte un cachet supplémentaire à l'ensemble. La série sait aussi jouer sur l'ambiance qui se dégage de certaines images symboliques, n'ayant pas son pareil pour présenter un temps grisâtre, où les nuages menaçants s'amoncellent dans le ciel, signe des drames passés et des difficultés à venir.
Enfin, Secret State rassemble un casting extrêmement solide, dont on regrettera surtout qu'en seulement 4 épisodes, beaucoup ne soit que trop peu exploité au goût du téléspectateur (parmi lesquels Charles Dance (Bleak House, Game of thrones), Stephen Dillane (John Adams), Gina McKee (The Lost Prince) ou encore Rupert Graves (Garrow's Law, Sherlock)). Le rôle de Tom Dawkins revient à un Gabriel Byrne (In Treatment) qui, tout en subtilité et en nuance, construit un personnage complexe, plus fort et persévérant que l'on aurait pu lui donner crédit à première vue, homme providentiel -ou non- se retrouvant soudain placé devant des responsabilités énormes. Sa progression aboutit à un extrêmement discours final qui mérite le détour. A noter, sur le plan de l'anecdotique, que Chris Mullin lui-même - l'auteur de A Very British Coup - fait une brève apparition dans la mini-série.
Bilan : Thriller politique et conspirationniste ambitieux, Secret State suit le parcours d'un politicien propulsé à la tête du pays suite à une tragédie. Tenant son mandat du peuple, il se heurte pourtant rapidement aux limites du politique et à la réalité du pouvoir de l'ombre, entre enjeux financiers et énergétiques. Dressant un portrait pessimiste et sans complaisance de la réalité de nos démocraties modernes s'apparentant à de véritables oligarchies, la mini-série ne parvient cependant pas à exploiter complètement son potentiel. Voulant traiter trop de thématiques à la fois, elle n'en traite au final véritablement aucune en profondeur, se contentant de tout survoler. Cela reste certes une fiction très correcte dans son genre, mais qui laisse malgré le téléspectateur quelque peu frustré.
NOTE : 7/10
La bande-annonce de la mini-série :