Les taupes du TOP, ou l’apologie du classement musical

Publié le 14 décembre 2012 par Wtfru @romain_wtfru

Ca y est, c’est l’hiver. Au sens « je-ne-sens-plus-mes-orteils » du terme. Les guirlandes accrochées aux murs de la ville t’empêchent de dormir, éclairant le spectacle désastreux des démunis encore dehors par ce froid, auparavant dans la noirceur de la nuit. Les amphis de la fac ne sont toujours pas chauffés, tout comme les plats du restaurant universitaire. Ce looooong moment où tu languis d’aller au ski, alors que tu n’as même pas de quoi t’acheter des bières pour la soirée de ce soir. Ah l’hiver, doux moment où il fait bon rester au chaud, chez ton pote qui a, lui, un appartement bien isolé. 

Mais l’hiver ce n’est pas seulement ce spectacle moribond guère si éloigné que ça des études sur le pessimisme à la française. En musique, c’est le merveilleux moment des classements. Il en surgit de partout, des sites fameux aux malfamés ; affamés par l’idée d’accrocher encore quelque auditeur curieux en cette période de récession (musicale). Le classement c’est l’assurance de visites et lectures garanties, et la facilité d’un article pas très difficile à écrire, constitué pour la plupart d’une suite de nombres (de 50 à 1 en général) avec la pochette de l’album ou la tronche des mecs. C’est tout. Pas de critique concernant ledit album, ou sur leurs prestations live, ni d’information cocasse sur la femme du bassiste atteinte d’apopathodiaphulatophobie. Ça existe.

En général, le classement se révèle contraire à la curiosité qu’il est censé égayer. Certes, il invite à voir une liste d’artistes qui ne sont pas là par hasard, et lui-même invite le lecteur à écouter. Mais il formate une pensée musicale beaucoup trop mise à l’épreuve par l’ignorance en ces temps. De plus, il n’invite pas tellement à aller voir au delà de cette même liste, nous cantonnant aux simples appétences des créateurs. L’idée est non pas de démonter les compositions des classements faits selon des gouts différents, ce qui est encore respectable, mais de critiquer le fait même de constamment classer la musique, induisant en erreur une curiosité singulière qui appelle à être égayée par elle-même, et non guidée par ces escroqueries du sens critique. L’oreille, le gout et le savoir en musique ne seront développés au plus grand nombre que quand les gens arrêteront d’écouter ce qu’on leur dit d’écouter, et cela dépasse le cadre familier de ton pote qui te conseille un album. A ce moment précis, la musique, libérée de toute la merde qu’on lui rattache, pourra survivre, et les gens auront vraiment du gout. Au moins le leur, et pas la même critique qu’ils se sont construites grâce aux classements.

Faire un classement suppose des meilleurs, des moins bons, et des oubliés, représentant une forme contestable de la dimension personnelle de la critique, d’où le nombre de classements présents. Etablir un ordre entre les classements suppose donc une hiérarchisation, et divise celui qui le lit, et cela ne concerne pas seulement la musique, comme on peut le voir avec le classement des pays par taux d’emprunt, des villes où on vit le mieux, etc. Cet argument est d’autant plus valable si on prend en considération le fait de retrouver les mêmes têtes brulées. Alors certes, libre à nous d’aller voir d’autres classements pour se faire une idée, et une audiothèque pour Noël. Mais quoi de mieux que de chiner sur la toile ou chez son disquaire afin de trouver de nouvelles pépites ? Du moment où tu trouves un truc intéressant quelque part, au moment où tu te trouves nez à nez (ou plutôt oreille à oreille) avec une véritable bombe, le sentiment de joie d’un travail de recherche fait par toi-même dépasse le fait même de cliquer sur le bouton play de la page d’un site internet, et t’évites donc de voir des bouses auditives polluer la surface pixélisée de ton ordinateur.

Prenons un classement au hasard (pas tellement), celui du magazine anglais NME. Pendant des années, ce dernier se posait comme fervent défenseur de la bonne musique, ayant des gouts pour des groupes originaux, et représentant un courant certes bien anglais, mais original dans la sphère musicale du journalisme. Or depuis quelques temps on observe un certain manque d’objectivité, voire de bon sens, qui ternit l’image qu’on a pu avoir de lui. Dernier fait d’armes, et comme un symbole, les deux « Top 50 » des albums et chansons de l’année encore en cours. On retrouve encore cette signature singulière de nos confrères qui continuent de mettre en avant des groupes novateurs, jeunes, et qui ne font pas l’essentiel des plages horaires des radios pourries mais davantage le planning des bons festivals estivaux.

Or si vous regardez bien, certaines taches semblent s’être introduites dans cette classification (on dirait une pub pour un dentifrice). Dans le Top 50 d’abord, où on peut voir en particulier Lana del Rey occuper la 45e place des « meilleurs albums de 2012 ». A t-on besoin de commenter cela ? Ou êtes vous d’accord avec le fait que la plus grande pro du playback de cette année prennent la place de certains oubliés de cette année ? Si on vous dit que Tsugi (même si ce n’est pas une bonne source à citer en matière d’objectivité) titrait il y a quelques mois « Lana Del Rey – L’arnaque », vous comprenez ? Sa présence dans un classement de cette ampleur établi par un titre de renom est donc en tout point contestable, tout comme l’est alors leur jugement critique.

Mais la blague ne s’arrête pas là : si on s’attarde à regarder le « Top 50 tracks of 2012 », cette même farce prend de l’envergure, et en plusieurs étapes.

Psy (avec toute la honte qu’on a d’écrire son nom dans cet article) occupe la 50e place, côtoyant un Kendrick Lamar à l’album génial qui n’occupe « que » la 49e place. Taylor Swift (sans trop savoir qui c’est vraiment) est 24e, soit dix positions devant Jai Paul, le surdoué de XL Records (qui a quand même le mérite de faire partie du classement avec une simple démo, certes excellente, de la belle chanson « Jasmine ». Pour finir, le clou du spectacle, et quel clou : Carly Rae Jepsen, la pouffe/gamine sortie tout droit d’une mauvaise série Disney Channel qui chante pour les gamines déçues d’Hannah Montana (devenue “grunge“), truste la 20e place avec « Call me maybe ». Il n’y a rien à ajouter, merci.

Il est bien sur impossible de ne pas continuellement classer les choses, et cela dépassant le cadre même de la musique, on le conçoit bien. Mais il y a une manière de le faire, moins brutale, et moins catégorique. L’idée est davantage d’éclairer le lecteur sur des nouvelles découvertes, ou des anciens qui font leur retour, que de hiérarchiser la musique en ne prenant uniquement le facteur buzz/éco/hype en compte.

Bisous