Si les bases du récit de Rhéa Gall Force rappelle bien sûr l’univers de Terminator (James Cameron ; 1984) pour son aspect post-apocalyptique reposant sur le point de départ classique de la guerre atomique ainsi que pour son thème tout aussi traditionnel de la révolte des machines contre leur créateur, cette OVA s’en distingue malgré tout sur deux axes au moins. Le premier concerne les auteurs de la guerre qui anéantit le monde : ici, les humains et non leurs créatures se trouvent doublement responsables, d’abord d’avoir détruit ce que leurs ancêtres mirent des millénaires à bâtir, et ensuite d’avoir créé la menace cybernétique qui s’abattît sur les survivants sitôt les champignons nucléaires dissipés. Le second axe, plus évident celui-ci, au moins sur le plan pictural, porte sur la situation du récit proprement dit : placée après cette fin du monde, elle permet d’illustrer l’affrontement entre les humains et leurs créations vouées à prendre leur place au contraire du film de Cameron qui plaçait ce combat dans le présent par le truchement du voyage temporel.
Si ces choix narratifs impactent en fin de compte assez peu le scénario lui-même, reposant pour l’essentiel sur de l’action pure et s’avérant donc bien simple sur le plan narratif, leur combinaison juxtaposée à l’origine nipponne de cette production donne à celle-ci une coloration toute particulière, à travers laquelle s’expriment certaines angoisses typiques du Japon des années 80 mais qu’on retrouve aussi dans nombre de nations industrialisées de la même époque, bien qu’avec moins de véhémence en général ; le thème de la révolte des machines illustre bien sûr notre angoisse face à ce progrès technique incontrôlable par définition (1), et à un point tel d’ailleurs qu’il nous semble doué d’une volonté propre, mais une volonté si absconse que son obscurité nous y fait voir le pire, et notamment la fin de notre civilisation, voire du genre humain. Enfin, c’est aussi pour Artmic l’occasion de produire une autre diatribe anti-technologique, un sujet pour le moins récurrent dans les œuvres de science-fiction de ce studio (2).
Car cette association entre le thème de la fin du monde – image de la mort par excellence (3) – et de la lutte contre des machines devenues folles – tableau de la peur de l’objet technologique – produit un résultat somme toute assez transparent. Ici, la machine signe purement et simplement la fin de la civilisation humaine. Il ne s’agit plus d’une lente décadence au contact d’une technologie toujours plus intrusive et qui transforme peu à peu l’homme en une sorte de zombi, d’esclave de cette machine dont il devient sans cesse plus dépendant – un motif qui jusque-là servait chez Artmic de métaphore de la déshumanisation progressive de la société face à un progrès aux effets en fin de compte assez discutables.
Dans Rhea Gall Force, la machine ne se préoccupe plus d’infiltration graduelle ou de cohabitation hypocrite mais au contraire prend ce qu’elle estime lui revenir de droit : celui qui échoit au plus fort, au plus habile, au plus rusé… Car telles sont les qualités de la machine, en plus de cette logique pure et d’autant plus terrifiante qu’elle réduit à néant les spécificités individuelles où trouvent racine les divergences d’avis et d’opinions (4). Le règne des machines implique donc l’abolition de l’individu dans une sorte d’esprit de ruche, autre synonyme de mort, au moins sur les plans intellectuels et spirituels. Pour cette raison au moins il ne peut y avoir de cohabitation entre l’humain et ses créatures, et surtout pas si celles-ci montrent de l’intelligence. L’un des deux doit finir par dominer l’autre.
Bien sûr, il s’agit avant tout ici d’une métaphore, de l’expression d’une crainte dont l’aboutissement reste très probablement encore assez loin dans l’avenir (5), celui où les machines se trouveront douées d’une réelle autonomie, celle-là même qui seule permet de se révolter contre son créateur (6). Voilà pourquoi il convient de ne pas trop prendre ce récit au sérieux mais plutôt d’y voir un infléchissement aussi inattendu que bienvenu d’une franchise jusque-là orientée vers le space opera et qui trouve par ce biais un moyen de se renouveler. Ainsi peut-elle exprimer certaines craintes typiques des nations industrielles de l’époque, où le modernisme connaissait à travers le développement de la micro-informatique une croissance exponentielle alors jamais vue, tout en reflétant une autre terreur de son temps, celui du spectre de la guerre nucléaire dont beaucoup croyaient encore qu’elle seule pourrait poser le point final à cette Guerre froide qui à ce moment séparait le monde en deux camps depuis plus de 40 ans.
Mais c’est aussi une réalisation de grande qualité sur les plans techniques et artistiques, à l’animation toujours fluide et aux designs qui laissent bien peu à désirer ; si le travail de Kenichi Sonoda consiste pour l’essentiel à revisiter ses travaux échafaudés dans les années précédentes pour Gall Force: Eternal Story (Katsuhito Akiyama ; 1986) et ses deux suites dont Rhea Gall Force est la séquelle directe, sur le plan des mechas, par contre, le travail de Kimitoshi Yamane se caractérise par un écart souvent drastique par rapport aux canons du genre avec pour résultat des formes souvent surprenantes, parfois osées mais toujours originales, et qui jouent pour beaucoup dans l’identité de cette réalisation. Si, comme évoqué plus haut, le scénario reste simple et assez linéaire, ceux d’entre vous friands d’action pure s’agaceront peut-être de la naïveté de certains personnages, heureusement assez ponctuelle pour ne pas gâcher le spectacle.
En fait, Rhea Gall Force sert surtout d’introduction à la suite du récit, l’OVA en trois épisodes Gall Force: Earth Chapter (même réalisateur ; 1989) qui, elle, présente bien plus d’éléments originaux ainsi qu’une intrigue mieux élaborée. Cette réalisation fera bien sûr l’objet d’une chronique prochaine.
(1) Jacques Ellul, Le Système technicien (Le Cherche Midi, collection Documents et Guides, mai 2004, ISBN : 2-749-10244-8). ↩
(2) bien que sous-jacent à la plupart des productions d’Artmic dans le domaine de la science-fiction, on le trouve surtout dans les titres de la franchise Bubblegum Crisis originale (1987-1991). ↩
(3) Jacques Goimard, Le Thème de la fin du monde, préface à Histoires de fins du monde (Le Livre de poche, collection La Grande anthologie de la science-fiction n° 3767, 1974, ISBN : 2-253-00608-4). ↩
(4) Gérard Klein, préface à Histoires de machines (Le Livre de poche, collection La Grande anthologie de la science-fiction n° 3768, 1974, ISBN : 2-253-00609-2) ; lire ce texte en ligne. ↩
(5) sur la faisabilité technique de l’intelligence artificielle, le lecteur curieux se penchera sur la préface de Gérard Klein au roman Excession de Iain M. Banks (Le Livre de Poche, collection Science-Fiction n° 7241, ISBN : 2-253-07241-9) ; lire ce texte en ligne. ↩
(6) Gérard Klein, préface à Histoires de robots (Le Livre de poche, collection La Grande anthologie de la science-fiction n° 3764, 1974, ISBN : 2-253-00061-2) ; lire ce texte en ligne. ↩
Notes :
En dépit de toutes mes recherches, il ne m’a pas été possible de trouver une vidéo en VOST. Si vous savez comment remédier à ce petit problème, n’hésitez pas à me faire signe.
Dans la mythologie grecque, Rhéa est une titanide, fille de Gaïa (la Terre) et d’Ouranos (le ciel étoilé) qui épousa son frère Cronos auquel elle donna entre autres Zeus comme fils. Pour son rôle majeur dans la chute des titans et l’avènement des olympiens, dont Zeus devint le roi, Rhéa se vit surnommée par les romains Magna Mater – « Grande Mère (de la Terre) » – et se trouva souvent confondue avec Cybèle, une divinité d’Asie Mineure.
Rhea Gall Force, Katsuhito Akiyama, 1989
Central Park Media, 2003
60 minutes, pas d’édition française à ce jour
- la page officielle de Gall Force sur le site de AIC
- l’univers de Gall force chez Gearsonline.net