Je ne fais plus attention à lui, il est là depuis si longtemps maintenant. A vue de nez, je dirais une quinzaine d’années au moins. Posé sur le manteau de la cheminée, c’est sa place et ni lui, ni moi, n’avons jamais envisagé de le mettre ailleurs.
Cadeau du petit-fils de ma femme, il s’agit d’un bonhomme de glaise d’une quinzaine de centimètres de haut, fait de ses propres mains à l’école. Il est vrai qu’il est malaisé de discerner la nature exacte du personnage mais il serait malhonnête de ne pas reconnaître un homme tendant le bras, dans cette statuette naïve.
Qui représente-t-elle, on ne l’a jamais su. A une époque j’ai cru y trouver une vague ressemblance avec Scratchy, à cause des yeux protubérants peut-être. Pour ceux qui ne seraient pas très au fait des dessins animés, je rappelle que Itchy et Scratchy est une série animée télévisée fictive diffusée à l'intérieur de la vraie série animée télévisée Les Simpson. Elle dépeint une souris bleue (Itchy) se battant éternellement avec un chat noir (Scratchy) et le mutilant avec toutes sortes d'armes mortelles. C'est l'émission préférée de Bart et Lisa Simpson. Vous trouverez facilement des photos en lançant une recherche sur Google, en supposant que vous soyez un maniaque de la vérification, bien entendu.
Remarquez que ça peut aussi ficher la trouille si on y voit une poupée d’inspiration vaudou. L’imagination déformant la vue, l’aimable petit bonhomme devient alors un hideux diablotin, poulpiquet ou korrigan. Néanmoins je ne pense pas qu’on doive s’engager sur cette voie car depuis le temps qu’il reste planté bien sagement à sa place, je n’ai jamais relevé d’indices troublants ou éveillant la suspicion. Même pas foutu d’éloigner les mouches ou les moustiques, alors…
En fait, moi je la trouve belle cette œuvre d’art, surtout parce qu’elle ne représente rien de vraiment identifiable. C’est là tout son charme à mon avis. A chaque fois qu’on la regarde, on peut imaginer tout ce qu’on veut, tout est ouvert. Ses couleurs chaudes participent au plaisir et sa taille modeste, ni invisible, ni trop voyante, l’autorise à rester dans mon logis. On peut ne pas la voir ou l’ignorer mais on peut aussi sourire en s’attardant sur ses formes hâtivement malaxées par des mains d’enfant dont la terre garde encore les traces.
Une statuette qui ne vaut pas grand-chose et qui donc n’a pas de prix ; or, comme ce qui n’a pas de prix est exorbitant, elle m’est chère.