Les dangers d’une évolution trop rapide !
La vedette de ce récit est le Cancer Simplicimus Vulgaris, plus communément appelé crabe carré. La grande particularité de cette espèce oubliée par Darwin est son incapacité à tourner, l’obligeant à mener une existence unidirectionnelle le long d’un axe immuable déterminé dès la naissance. L’auteur reprend donc le point de départ du court-métrage et ajoute quelques histoires parallèles à cette vie en apparence monotone des crabes des plages de la Gironde, comme celle de ces deux journalistes animaliers qui veulent faire un reportage sur les capacités d’évolution de ces étranges crustacés.
Ce troisième tome nous replonge donc en compagnie des quelques crustacés qui ont réussi à survivre à l’affrontement du tome précédent entre les « tournants » (qui changent de direction) et « les rigides » (qui continuent de marcher tout droit). Lors du premier volet, l’un des crabes carrés avait en effet réussi à décrire une courbe, virage scénaristique qui remettait en question des années de non-évolution, causant pas mal de remous au sein de la population aquatique. Ce déplacement circulaire donna ensuite naissance à deux mouvements radicalement opposés au sein de l’estuaire de la Gironde : l’un favorable aux virages et à la liberté de mouvement et l’autre, radicalement opposé à la mobilité non rectiligne du Cancer Simplicimus Vulgaris. L’équipe de tournage du documentaire ayant par hasard réussi à filmer le virage effectué par le père fondateur du nouveau mouvement, ces changements ne passent pas non plus inaperçu hors de l’eau.
Si la race évoluée parvient enfin à prendre le pouvoir, ce troisième volet va s’amuser à souligner les dangers d’une évolution trop rapide. Il ne faut à nouveau que quelques pages pour être happé par cette histoire riche en rebondissements, qui prend une trajectoire assez loufoque malgré des existences sensées s’effectuer en lignes droites. Les péripéties de ces crustacés qui cherchent à échapper à une destinée toute tracée sont racontées avec beaucoup de décalage et un humour caustique qui fait mouche. Mais au-delà de l’originalité et du ton amusant, le lecteur ne manquera pas de s’attacher à ces créatures aussi vulnérables qu’attendrissantes et de découvrir une certaine profondeur dans les propos d’Arthur De Pins. Si au début de la saga, à l’aube de ce virage existentiel dans la (sur)vie de l’espèce, l’auteur semblait vouloir dénoncer, sous forme de métaphore, nos existences routinières et monotone, il s’attaque maintenant à notre société de consommation à travers les dérives de ces crabes qui s’engraissent sans réfléchir à leur environnement. Si la transformation des crabes invitait les lecteurs à réfléchir sur leur condition humaine et à changer de direction avant qu’il ne soit trop tard, cette nouvelle société de crabes gloutons démontre que toutes les voies de Darwin ne mènent pas forcément au bonheur. En se basant sur les fondements de l’évolution, l’auteur cherche donc à bousculer les règles établies, invitant le lecteur dans une marche au progrès et à la nouveauté, mais en faisant attention aux dérives d’une évolution non contrôlée. Parsemant son récit d’humour, il invite ainsi à réfléchir sur notre société, abordant intelligemment des thèmes tels que le conformisme, la tolérance, le droit à la liberté et la consommation.
Par rapport au film d’animation, Arthur De Pins propose ici un graphisme en couleurs. Si le trait va toujours à l’essentiel, la colorisation ajoute un certain charme à l’ensemble.
Je suis grand fan de cette série que je vous invite à découvrir d’urgence et un album que vous retrouverez dans mon Top de l’année !
Jetez également un oeil au court métrage et au teaser du film d’Arthur de Pins ci-dessous.