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Ninjas et sacs plastiques, ou le compte-rendu anarchique d'une soirée exceptionnelle à Panic ! Cinéma
Par Tred @limpossibleblogPlastic Man qui mange aux toilettes, des chinois qui parlent en français et un ninja qui a l’accent anglais. Ça se passe comme ça à Panic ! Cinéma. Et cette séance du 8 décembre, voilà des semaines que je lorgnais dessus. Pensez-vous. Un film de ninjas hongkongais des années 80 en l’honneur de la journée mondiale du ninja (sérieusement !). Si ça ce n’est pas immanquable pour tout amateur de nanars qui se respecte, qu’est-ce qui peut bien l’être ? Ce qui fait surtout de ce genre de film un must, c’est sa version française absolument hallucinante qui semble avoir été enregistrée spécialement pour faire le bonheur des visiteurs de Nanarland. Les habitués de Panic ! Cinéma ne s’y sont pas trompés et la salle Buñuel du Nouveau Latina était quasiment pleine.
Avant d’entrer en salles, je vécus cependant une véritable rencontre du 3ème type devant les toilettes du cinéma, sans extraterrestre mais avec un Plastic Man généreux et expansif. La première fois que j’ai échangé un (court) mot avec lui, c’était au Cinéma du Panthéon (déjà aux toilettes, décidément…). Cette fois, le cinémaniaque le plus célèbre de la place parisienne, toujours de noir vêtu et toujours aussi légèrement avec T-shirt, jogging et espadrilles, avait étalé ses fameux sacs dans le couloir bordant les toilettes du Nouveau Latina pour… dîner. Quand j’arrivai dans le couloir, il était en train de fouiller dans un des sacs pour en extirper, entre autres merveilles, une boîte de thon qu’il ouvrit et commença à déguster sur place, avant de se déporter au-dessus du lavabo pour ne pas en renverser sur la moquette. La plus longue conversation que j’ai eue avec lui s’ensuivit, d’abord sur la difficulté de manger du thon sans boucher le lavabo (si si !), puis sur la difficulté de manger rapidement entre deux séances (discussion très gastronomique, je sais). Je le laissai finalement manger tranquillement (rapidement, surtout), particulièrement débraillé mais éminemment sympathique, en le quittant d’un « Bon appétit ».
Dans la salle, il se posta à son fidèle premier rang, et lorsque la salle fut presque remplie et qu’un groupe de mecs, six ou sept, arriva et sembla décidé à s’installer aux avant-postes à côté de Plastic Man… ils changèrent finalement d’avis, semblant méfiant de ce voisin mal attifé, mal sapé, et étalant des sacs plastiques au sol. L’ambiance dans la salle était électrique. « Clash of the Ninjas » promettait d’être un tel régal, les extraits aperçus sur Internet auguraient d’un doublage si poilant, que la salle fut réactive au film tout du long – et même un chouia trop pour les mecs installés le rang derrière le mien, qui semblaient ne pas trop faire la différence entre rire du film et chercher à faire rire la salle. Les gars, si vous aviez mis la pédale douce sur l’aspect participatif en lançant les piques juste ponctuellement plutôt que tout du long à chaque minute, chaque réplique et chaque plan, l’expérience eut été d’autant plus poilante.
Mais le spectacle fut tout de même total, et hilarant. « Clash of the Ninjas », un film de Godfrey Ho (crédité en tant que « Wallace Chan »), un nom qui ne vous dit probablement rien dont la looongue filmographie (plus d’une centaine de films) consiste essentiellement en des films dont le titre contient le terme « Ninja ». Oui, le Godfrey aime le ninja, il leur a dédié sa vie de cinéaste et nul doute que « Clash of the ninjas » en est l’un des fiers représentants. Le film raconte… enfin… raconte est peut-être un grand mot, en tout cas il suit une organisation criminelle à Hong Kong à la tête de laquelle un britannique du nom de Mr Roy se révèle être un méchant ninja qui fait du trafic d’organes (bouuuuh !). La police hongkongaise et Interpol, dont un agent qui s’appelle Tony et arbore un mulet et une moustache dignes des plus beaux looks des années 80, vont tenter de démanteler cette horrible organisation (bouuuuuh bis).
Si le scénariste annoncé au générique s’appelle Spielberg, difficile de croire qu’il s’agit là d’un cousin de Steven qui se serait essayé en douce au film de ninjas. Ici, on est dans le nanar total qui a dû sembler has been dès 1988 (le film date de 86) tant rien n’a été ici conçu pour résister à l’épreuve de la ringardise cinématographique, ce qui bien sûr en fait ce plaisir coupable absolument délicieux dont nous nous sommes délecté à Panic ! Cinéma. Évidemment la première chose qui rend ce film si vitalement nanaresque et hilarant, c’est sa magnifique VF. Le genre de doublage qui semble avoir été effectué en un après-midi par deux doubleurs amateurs se chargeant de faire toutes les voix à eux deux en changeant les intonations, accents et autres variations vocales d’un personnage à l’autre, y compris les personnages féminins (sérieusement, j’ai été incapable de déterminer s’il s’agissait de voix masculines ou féminines qui doublaient les femmes dans le film, effet « Hey chéri, tu t’attendais à quoi en venant au Bois de Boulogne à cette heure-là ? »). Si la VF a eu la bonne idée de ne pas donner des accents asiatiques racistes aux personnages chinois, les voir avec de bons accents franchouillards face à des anglais qui avaient des accents so british - ou pour le héros arborant moustache et mulet, une voix à la Stallone - ajoutait finalement au grand n’importe quoi. Même si je ne saurais dire ce qui était le plus savoureux, entre l’accent franchouillard des chinois ou l’accent British du méchant ninja qui balançait des « Attrapez-moi ces zygotos » avec l’accent de Hugh Grant ou des « Fuck Off ! » et autres « Ooooh encore Fuck Off !! » en VF dans le texte.
Mais ne mettons pas tout sur le compte de la VF endiablée. Le film en lui-même regorgeait de petits trésors nanaresques qui n’avaient même pas besoin du doublage pour entrer dans les annales du Z. Une magnifique scène d’amour kitsch et mal montée (hop j’ai des vêtements ! hop j’en ai plus ! hop j’en ai de nouveau !) sur fond de synthé, des répliques qui tuent (« On les a retrouvés sur le sol » et autres « Le sang que tu as perdu, tu ne l’auras pas versé en vain » dans la bouche de monsieur mulet à son pote sur son lit d’hosto), des ninjas qui apparaissent et disparaissent avec de la fumée, des explications historiques sur l’origine de la mafiaaa ou des ninjaaas (oui, monsieur mulet a tendance à accentuer les « a » en VF), des scènes de combat où l’on voit bien que les acteurs ne se touchent même pas, des flash-backs ou le mec lève la tête au plafond pour faire style « Attention flash-back ! », et un duel final où le gentil ninja fait exploser le méchant ninja d’un mouvement de main à distance (applaudissements nourris garantis). Non, décidément, même en VO il y aurait eu de quoi se marrer. Bien sûr cela n’arrange rien que le film soit paraît-il réalisé à partir de deux films remontés, les acteurs occidentaux ayant été apparemment insérés à l’intérieur d’un film HK déjà existant. Bref (avec un accent britannique maléfique) un bon bordel bien jouissif ! Et moi des films comme ça, des séances aussi délectables, j’en veux encore ! Ninjaaaaa !