On le sait maintenant, en Espagne, ça ne va pas fort en ce-moment. L’économie s’écroule, les banques sont au bord de la faillite, une bonne partie de la population se retrouve au chômage et l’avenir est aussi incertain qu’un triple A… Bref, c’est la Crise, avec un C majuscule.
C’est sur ce canevas peu réjouissant qu’Alex de la Iglesia a brodé son nouveau long-métrage, Un jour de chance.
Son héros, Roberto (Jose Mota), est un ancien publicitaire, inventeur du slogan “le peps de la vie”, pour une célèbre marque de sodas (“La Chispa de la vida”, titre original du film). Comme bon nombre de ses compatriotes, il traverse une mauvaise passe. A presque cinquante ans, il s’est subitement retrouvé au chômage et, depuis, essaie en vain de retrouver un poste. Sa femme Luisa (Salma Hayek) le soutient, le pousse à continuer ses démarches, mais lui n’y croit plus. Roberto sait qu’il est en concurrence avec de jeunes loups bien plus dynamiques et motivés. Et il subit le contrecoup de ses années de chômage, et de la honte de ne plus être capable de subvenir aux besoins de sa famille.
Un jour, Il tente une ultime démarche en allant solliciter un vieil ami, responsable d’une grosse agence publicitaire. Il en vient même à le supplier de lui trouver un travail. Mais l’homme ne lui offre qu’une indifférence polie mêlée de pitié… Aïe, cette fois Roberto en est persuadé, il ne trouvera plus jamais de travail. Et quand, en sortant du bureau de son ex-ami, il est bousculé par un clochard qui jalouse sa voiture et son costume-cravate, il comprend que sa chute ne fait que commencer…
Pour se consoler, il décide de se replonger dans des souvenirs heureux en allant faire un tour sur les lieux de sa lune de miel. Mais quand ce n’est pas le jour, ce n’est pas le jour… Roberto découvre en effet que l’hôtel où sa femme et lui avaient passé de délicieux moments est aujourd’hui fermé. Pas à cause de la crise, à cause de la récente découverte des ruines d’un théâtre antique sous le bâtiment. L’endroit a été transformé en musée, et au moment où il arrive sur place, on célèbre justement son ouverture. Roberto est entraîné malgré lui à l’intérieur et, en cherchant à sortir, il pénètre dans une zone interdite au public, encore en travaux, et fait une chute spectaculaire. Non décidément, quand ce n’est pas le jour, ce n’est pas le jour…
Par miracle, il est encore en vie quand il atterrit sur le sol, quelques mètres plus bas. Mais son existence ne tient plus qu’à un fil. Ou plutôt, à une tige de fer. Celle qui lui est rentrée dans l’arrière du crâne… Quand on vous dit que ce n’est pas son jour…
Les secours, prévenus par le gardien du musée, interviennent rapidement. Ils constatent qu’on ne peut pas bouger Roberto sans risquer de causer des dégâts irréversibles à son cerveau, ou provoquer sa mort. Mais il faut quand même lui ôter la tige au plus vite pour éviter toute infection. Autant dire que la situation est délicate…
Et elle le devient encore plus quand les journalistes présents sur le site pour l’inauguration s’intéressent à ce fait divers incroyable. Qui est cet homme étendu sur la plateforme? A-t-il essayé de mettre fin à ses jours? Et surtout, va-t-on pouvoir le sauver? Suspense en direct devant les caméra…
La médiatisation de l’évènement conduit à un incroyable défilé autour de Roberto. Les journalistes tentent de s’approcher au plus près du blessé. Les grands reporters tentent de négocier une interview. Les policiers gardent ces vautours à distance. Les médecins et les pompiers s’affrontent pour tirer à eux la couverture médiatique. Le maire et les autorités, inquiètes de se voir reprocher l’accident, tentent de sauver les apparences. Le copain publiciste qui a refusé de l’embaucher se demande s’il n’a pas essayé de se suicider à cause de lui et s’angoisse des retombées négatives qui pourraient frapper sa société. Et au milieu de tout ce cirque, la famille de Roberto essaie d’obtenir un peu d’intimité avec lui…
Et le blessé dans tout ça? Il est plutôt heureux de sa mésaventure, car il comprend qu’il va pouvoir tirer parti de cette épineuse situation, en profitant de cette exposition médiatique inattendue pour négocier une embauche ou mieux, toucher le pactole en monnayant son interview…
Le film passe d’une chronique sociale façon Tati ou Nichetti, décrivant de manière satirique le monde de l’entreprise, entre patrons mégalos, secrétaires rigides et employés flemmards, à une sorte de fable corrosive en forme de huis-clos à ciel ouvert.
De la Iglesia nous invite alors à nos interroger sur les média et leur soif de sensationnel, sur le besoin de reconnaissance médiatique et de quart d’heure de gloire des individus, sur l’argent et sur les valeurs essentielles à notre existence…
On pense inévitablement au chef d’oeuvre de Billy Wilder, Le Gouffre aux chimères, dans lequel un journaliste sans scrupules faisait tout pour faire durer le calvaire d’un explorateur bloqué dans la galerie d’une montagne après un éboulement, juste pour étirer le suspense, vendre plus de journaux et récolter la gloire… Mais ici, les journalistes ne sont pas les seuls à se montrer sous leur plus mauvais jour. Les personnages du récit – du simple quidam au médecin, du politicien à l’homme d’affaire - sont tous égocentriques, cupides, lâches et manipulateurs. Tous ne raisonnent qu’en fonction de leurs intérêts personnels, de leurs ambitions personnelles, au détriment des autres. Et tous sont animés par une certaine curiosité morbide, un voyeurisme malsain…
Ils feignent de craindre pour la vie de Roberto, mais ils espèrent secrètement qu’il meure en direct devant les caméras, ou devant leurs yeux, dans ce théâtre antique où se joue une nouvelle tragédie.
Et Roberto lui-même se révèle parfaitement détestable, avec son obsession de la notoriété et de l’argent facile. Il n’est plus la victime d’un système inégalitaire, il devient un carnassier comme les autres, prêt à aller jusqu’au bout pour obtenir sa part du gâteau…
La farce prend peu un peu un goût amer. Le portrait que dresse le cinéaste de la société espagnole – et de la nôtre par ricochet – n’est guère reluisant.
Cela pourrait paraître totalement cynique et désabusé, comme l’était le précédent film d’Alex de la Iglésia, Balada triste, mais le cinéaste prend soin de préserver au moins deux personnages. Déjà, une jeune journaliste semblant un peu plus intègre que les autres, capable d’éprouver un minimum de compassion pour la personne qu’elle filme. Mais aussi et surtout la femme de Roberto, la seule qui semble rester lucide au milieu du chaos, la seule qui essaie de préserver la sécurité de son mari, jeté en pâture aux vautours, la seule, enfin, qui fait montre de suffisamment de caractère pour refuser de se plier à ce système où tout s’achète, même la dignité humaine. Ce beau personnage est la lumière qui éclaire ce film crépusculaire.
Il offre aussi un de ses plus beaux rôles à Salma Hayek, que l’on n’avait pas vue aussi émouvante depuis des lustres. Mais les autres acteurs sont également très bons : Jose Mota, qui occupe l’écran quasiment de la première à la dernière minute et nous rend attachant ce personnage de looser magnifique, Antonio Garrido, Segura, Juan Luis Galiardo, Bianca Portillo…
La mise en scène est au diapason. Si on retrouve par moments le bouillonnement créatif habituel d’Alex de la Iglesia et ses penchants pour un cinéma déjanté, sa façon de filmer a gagné en rigueur et en simplicité. La contrainte du “huis-clos” pour la seconde partie du film s’avère finalement un atout, en obligeant le cinéaste à redoubler d’ingéniosité pour raconter son histoire sans ennuyer le spectateur et sans s’abandonner aux excès dont il a trop souvent été coutumier jadis. Le film souffre bien de quelques baisses de rythmes par moments, mais globalement, c’est très intelligemment mené, tout en subtilité.
Sans être tout à fait au niveau de Balada triste, Un jour de chance reste néanmoins une oeuvre de très belle facture, qui confirme qu’Alex de la Iglesia est parvenu à une certaine maturité et parvient désormais à allier une forme brillante, appuyée par d’élégants mouvements de caméra, à un fond plus consistant. L’Espagne subit peut-être la crise de plein fouet, mais les cinéastes ibériques, eux, affichent une santé éclatante, pour notre plus grand plaisir…
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La chispa de la vida
Réalisateur : Alex de la Iglesia
Avec : Jose Mota, Salma Hayek, Antonio Garrido, Segura, Juan Luis Galiardo, Bianca Portillo
Origine : Espagne
Genre : farce au goût amer
Durée : 1h35
Date de sortie France : 12/12/2012
Note pour ce film : ●●●●●○
Contrepoint critique : TF1 News
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