« La richesse du piano »
Collection Les Jazz RTL. Vogue. Sony Music. 2011.
Martial Solal : piano
Musiciens et morceaux détaillés dans l’album
La photographie de Martial Solal est l'oeuvre de l'Elegant Juan Carlos HERNANDEZ. Toute utilisation de cette oeuvre sans l'autorisation de son auteur constitue une violation du Code de la propriété intellectuelle passible de sanctions civiles et pénales.
Lectrices virtuoses, lecteurs vertueux, je n’ai pas pour habitude de vous parler de compilations mais pour celle-ci, je ferai une exception. D’abord parce qu’il s’agit de Martial Solal, mon pianiste favori comme vous avez pu le percevoir en lisant ce blog et comme le savent ceux qui connaissent ma discothèque. Ensuite parce que celle-ci réunit en 2 CD, 46 morceaux en solo, trio, quartet enregistré par Martial Solal à l’orée de sa carrière entre 1954 et 1956 pour un prix ridicule (10€ dans le commerce légal soit environ 0.22€ par morceau). Du foie gras d’oie au prix du pâté d’alouette, voilà de quoi plaire au Jars qui jase Jazz.
Plus sérieusement, l’auditeur émerveillé, éberlué, ébaubi, épaté a le privilège d’assister ici à la naissance d’un style aussi irréductible et unique que son auteur, le piano à la Solal. Léger, véloce, féroce, drôle, vivant, troublant, intelligent, stimulant tels sont quelques uns des adjectifs qui me viennent en tête à l’écoute de ces merveilles. Il y a peu de compositions personnelles mais elles portent déjà la marque de Martial Solal par les titres déjà « Ridikool », basé sur le Cool Jazz comme plus tard « Jazz frit » se moquera gentiment du Free Jazz et il y a déjà la curiosité pour la musique classique avec cette version très personnelle de " La Chaloupée " d'Offenbach qui illustre cet article. Martial est très vite reconnu par les musiciens américains enregistrant en 1954 avec la rythmique de Sarah Vaughan de passage à Paris : Joe Benjamin à la contrebasse, Roy Haynes à la batterie. En 2008 au théâtre du Châtelet, pour son concert jubilé, afin de ne pas être le doyen de la soirée, Martial né en 1927 retrouvait sur scène son vieux complice Roy Haynes né en 1926 et ça marchait toujours.
L’auditeur attentif retrouvera aussi le dernier groupe à avoir accompagné Django Reinhardt : le quartet de Martial Solal avec Fats Sadi Lallemand (un Belge comme son nom ne l’indique pas) au vibraphone. C’était en 1953, nous sommes en 1954 et déjà le groupe a mûri, progressé, jouant avec la même instrumentation que le Modern Jazz Quartet (piano, contrebasse, batterie, vibraphone) sans jamais y faire penser. Du grand art comme le souligne avec raison Philippe Baudouin dans le livret de présentation.
Contrairement à ce qu’affirment des critiques mal entendants et mal comprenants, le jeu de Martial Solal n’est pas dénué d’émotion. Ce musicien a simplement horreur du sentimentalisme, est d’un naturel discret, pudique. Ivan Lendl, lorsqu’il jouait au tennis, déclarait cacher ses émotions dans sa volée, Martial Solal les cache dans son piano mais il suffit d’un peu d’attention pour les trouver (cf ses interprétations de « Darn that dream »ou « One in a while »).
Le livret de l’album est simple et bien fait. Tous les lieux, dates d’enregistrement y sont. Les noms et prénoms des musiciens y sont aussi même si des érudits jazzologues pourront y repérer quelques erreurs (Christian Garros et non Christin à la batterie, Jean-Louis Viale à la batterie et non au piano).
Presque soixante après, alors que Martial Solal est au crépuscule de sa carrière, il est juste et bon d’en saluer l’aurore pour mesurer le chemin parcouru. S’il est allé si loin dans la recherche d’un idéal musical inaccessible et toujours repoussé, c’est parce qu’il ne partait pas de rien. Il partait de ces séances pour Vogue qui méritent de revenir et demeurer à la mode.
La musique parle d'elle même comme disait Miles Davis avec qui Martial Solal n'a jamais joué. Voici Martial Solal en piano solo en 1956. Rien à ajouter. Si, une chose: il a bien fait de raser sa moustache.