"La nullité, c'est le début de l'excellence"
Adventure time.
Je pense qu'il est très important de garder ça à l'esprit durant la rédaction de toute dissertation, et plus spécifiquement celle de philosophie. Notez la noblesse de la référence. En effet, vous le savez sûrement, la disserte de philosophie est souvent perçue comme la plus aléatoire. En gros, ça passe ou ça casse. Mais comment faire pour que ça passe, si vous voyez vos notes misérablement stagner à 8 ? Sachez qu'après avoir interrogé mon prof sur la question, il semble que la première heure de l'épreuve de six heures soit cruciale. C'est pendant l'analyse du sujet que tout se joue. D'après le prof, l'examinateur sait. Il sait dès l'intro. Il sait dès l'intro si on a compris le sujet ou non. A mon avis personnel à moi, le mythe selon lequel l'examinateur ne lit que l'introduction, la conclusion et les transitions est globalement faux. De très bonnes copies peuvent comporter une intro médiocre avant de sortir un développement de bourrin. Tout cela est donc à relativiser : mieux vaut miser sur une copie équilibrée dans un style uniforme et cohérent.
Cependant mon prof de philo sait très bien de quoi il parle, et chaque fois qu'il nous explique avec tout le naturel du monde à quel point la méthodologie de philosophie est un exercice facile si on réfléchit un peu, et finalement un peu mécanique, il insiste copieusement sur cet aspect de l'épreuve : la dissertation de philosophie n'est rien d'autre qu'une longue définition. Les copies qui arrivent à cerner directement le problème sont apparemment celles qui interrogent le plus efficacement les différents termes du sujet. Cette analyse passe nécessairement par un processus de définition. Mais c'est super difficile de bien définir des notions qui sont hyper larges et qui nous paraissent tellement évidentes qu'on n'a jamais pris la peine de chercher dans le dico. Pour les révisions, il faut donc envisager toutes les possibilités et s'interroger en apprenant le cours sur ce que veulent dire les mots et ce qu'ils englobent exactement. Ainsi, une fois que l'on a à peu près défini ce qu'est le sujet, il faut définir ce qu'il n'est pas. Et cette étape est en fait très importante car elle aide à mieux comprendre ce qu'il est, en évitant tout hors-sujet. D'après le prof, pour qui tout est désespérement si simple, il s'agit d'énumérer tout ce que n'est pas le sujet et pouf, ça nous donne le plan. Mais bon, c'est le prof, et il est très fort.
La deuxième chose sur laquelle il faut s'arrêter, c'est que ce qui est noté, c'est la capacité du candidat à retourner le sujet pour en renverser le problème évident. Y'a toujours un problème évident dans un sujet de philo et pour en tirer la véritable problématique, il faut comprendre quels sont les préalables du sujet, ce qu'il implique, ce qu'il présuppose. D'après le prof, le problème que pose le sujet se manifeste sous forme d'une tension (un paradoxe, une difficulté fondamentale). Cette tension est constitutive de la construction argumentée de la problématique, sinon le devoir ne serait qu'un exposé. Notre prof nous a donné cet exemple assez parlant, même s'il est parfois difficile d'appliquer ce cheminement de pensée par soi-même, et même s'il ne peut s'adapter à tous les sujets. Avec un sujet comme l'intuition, il faut définir le terme : l'intuition est ce qui se donne immédiatement. Puis il faut tourner ce principe à l'envers : l'intuition n'est-elle pas un résultat ?
Enfin, j'ai trouvé que ce texte de Bergson sur la dissertation de philosophie était sublime et magnifiquement imprégné du génie bergsonien, en espérant que cela puisse vous aider, dans toute cette fumée que représente la méthodologie de philosophie (il n'y a pas de recette miracle, faut juste être philosophe). Je rappelle la thèse globale de Bergson pour que les personnes qui ne le connaissent pas puissent voir plus clairement ce qu'il veut dire. D'après lui, il existe deux formes de connaissance : la première est relative, la deuxième est absolue. La première consiste à tourner autour de l'objet par son analyse, en se plaçant à l'extérieur de lui, et la deuxième consiste à rentrer dans l'objet pour être en adéquation totale avec lui au moyen de l'intuition, et c'est cette deuxième qui est le véritable travail de philosophie.
L'intuition n'a rien de mystérieux. Quiconque s'est exercé avec succès à la composition littéraire sait bien que lorsque le sujet a été longuement étudié, tous les documents recueillis, toutes les notes prises, il faut, pour aborder le travail de composition lui-même, quelque chose de plus, un effort, souvent pénible, pour se placer tout d'un coup au coeur même du sujet et pour aller chercher aussi profondément que possible une impulsion à laquelle il n'y aura plus ensuite qu'à se laisser aller. Cette impulsion, une fois reçue, lance l'esprit sur un chemin où il retrouve et les renseignements qu'il avait recueillis et d'autres détails encores ; elle se développe, elle s'analyse elle-même en termes dont l'énumération se poursuivrait sans fin ; plus on va, plus on en découvre ; jamais on n'arrivera à tout dire : et pourtant, si l'on se retourne brusquement vers l'impulsion qu'on sent derrière soi pour la saisir, elle se dérobe ; car ce n'était pas une chose, mais une incitation au mouvement, et, bien qu'indéfiniment extensible, elle est la simplicité même.
Vous venez de le voir, la disserte de philo, en fait, c'est hyper facile. Faut juste faire un bond intellectuel au coeur du sujet avec votre intuition. Donc je résume la marche à suivre globale et ne présentant aucune garantie pour le commun des mortels élèves.
1) Il faut définir les termes du sujet en cherchant les synonymes, les contraires, les étymologies, etc.
2) Si le sujet peut avoir plusieurs définitions, il faut envisager quel peut être le rapport entre les différents termes, trouver ce qui les unit ou les hiérarchise.
3) Envisager les termes du sujet en rapport avec des domaines philosophiques : morale, droit, science, théologie, etc.
4) Parvenir à trouver la difficulté intrinsèque du sujet pour en extraire le noeud :
- définir ce que n'est pas le sujet (le différencier d'autres sujets proches).
- rattacher le sujet à des contextes particuliers.
- en trouver le sens et la valeur (reformuler le sujet en commençant par faut-il... ? ou est-ce toujours... ?)
5) Formuler la problématique en s'appuyant sur l'une de ces deux méthodes :
- Confronter la "thèse évidente" et le problème véritable du sujet (fruit de notre intense réflexion).
- Mettre en conflit différentes thèses philosophiques.
6) Commencer à rédiger en priant pour que l'impulsion bergsonienne vous prenne tout à coup. Ne pas oublier que la disserte de philo, c'est 50% de réflexion ET 50% de connaissances philosophiques (traduction : ne pas arriver les mains dans les poches).
Personnellement, je n'ai toujours pas trouvé la clef des dissertations de philosophie. J'adore la philo, mais quand il s'agit de justement avoir cette impulsion, cette intuition, je bloque. Ou alors je m'arrête sur quelque chose de trop simpliste.
En tout cas très bon article qui a le mérite de montrer qu'en fait, tous les profs prônent la même méthode... et que, sans déclic, c'est difficile de faire une bonne dissert de philo. Au passage, le texte de Bergson est magnifique, j'adore ! Je passe la philo mardi, j'essaierai d'appliquer les conseils du concert des grands sages.
(PS : j'ai passé l'histoire aujourd'hui, "Nation et nationalismes de 1851 à 1914"... sympa non ?)
A bientôt !