The Doors Live At The Bowl 68 (Eagle Vision/Rhino / Naïve, 2012).
Une restauration inédite
En publiant le dvd Live At The Bowl ’68, les Doors poursuivent la réédition de leur catalogue avec un parti pris d’authenticité maximaliste assez inédit. Pour cet excellent live en plein air à Los Angeles, le traitement du son ne vise pas à gommer les imperfections mais au contraire, à conserver les bruits parasites ou les fausses notes pour rendre cette expérience la plus proche de celle du concert filmé. Ce révisionnisme un peu déstabilisant donne au film une valeur documentaire fascinante : celle d’un concert pop avant l’avènement des canons spectaculaires du rock-stadium.
Ni applaudissements grossièrement doublés, ni lightshows post-Nüremberg, toutes ces métastases qui ont désincarné la musique populaire occidentale. La réalisation ne succombe pas aux excès formels habituels des concerts filmés – l’intimité de connivence du cinéma-vérité ou les inévitables zooms drogués – le dispositif est simple et efficace : quelques plans fixes face à la scène et une caméra mobile proche des musiciens.
Nous faisons partie du voyage
L’ouverture du film se focalise sur la scène dépouillée du Hollywood Bowl et les trois musiciens qui ouvrent le concert avec When The Music’s Over : Ray Manzarek plongé dans une boucle d’orgue hypnotique, John Densmore concentré à la batterie et Robbie Krieger planant à guitare. Les musiciens sont ramassés au milieu du plateau, devant un mur d’enceintes, équipés d’instruments rudimentaires, ressemblant plus à un trio de new jazz west-coast perdus.
La musique devient une cathédrale sonore attendant l’entrée de Jim Morrison. Il apparaît enfin et arpente la scène. Il est face au public, un 5 juillet 1968, lendemain de fête nationale. La Police garde la scène. Un ballet continu de gens traverse les allées avec des boissons. Le chitlin’ circuit pour jeunes blancs. Aucune manifestation d’adulation, juste cette curiosité presque carnassière de la foule pour la sensation pop bizarre qui culmine depuis un an dans les charts. le public n’est pas gagné d’avance. Les musiciens assurent le climax en bon backing band et Morrison prend tout son temps, à la recherche d’une porte d’entrée psychique. Il la trouve soudain et s’embarque sur un groove taillé sur mesure pour accompagner ses visons, ses silences et ses improvisations.
AmeriKKKa 68
Le concert a lieu quelques mois après les assassinats de Martin Luther King et de Robert Kennedy, dans le post-trauma de l’offensive du Têt. Le rêve américain sent la gangrène, il bascule dans les émeutes, les drogues dures, le chaos et la répression fasciste. Le set des Doors fait peu de concessions pour alléger cette atmosphère délétère : juste quelques tubes pop – Light My Fire, Hello, I Love You, Moonlight Drive – pour ensuite déballer les terreurs lugubres de l’AmeriKKKa – The End, The Wasp, (Texas Radio And The Big Beat, Horse Lattitudes, Alabama Song, Unknown Soldier. Les hallucinations gothiques de Morrison font partie des newsreel de l’époque.
Le Roi lézard
Jim Morrison oscille toujours entre le récital de poèmes beat et l’obscénité rock, entre les visions flamboyantes, le ridicule de ses sauts de petite pédale égocentrique et la séduction facile des bluettes psychés avec sa grosse queue emballée dans du cuir. Arriver en plus à hurler des poèmes flippés sur la mort, l’inceste et la guerre sans se faire jeter de scène est le plus beau témoignage de contrôle des foules par le chaos organisé.
Morrisson est déjà entré dans le cercle rouge des shamans et du barnum américain, plus rien ne peut l’attendre sur scène même quand des abrutis lancent des pétards pendant la moitié du concert ou que la régie lumière refuse de baisser les lumières à sa demande pendant The End. Jim Morrison est fascinant tout le long de ce concet filmé Live At The Bowl ’68, les trois Doors y sont sublimes. Trois ans plus tard, Morrison ne pourra plus sortir du cercle rouge, et après sa mort, les Doors deviendront juste un groupe sans avenir.