Nul ne devra passer à côté de ce spectacle proposé depuis la semaine dernière au Ranelagh. D'abord parce qu'il est d'excellente facture, cocasse et touchant, porté par deux interprètes formidables. Ensuite parce qu'il met en lumière l'hallucinant parcours lyrique de cette riche américaine sérieusement toquée, Florence Foster Jenkins, qui dans les années trente, convaincue de posséder l'oreille absolue et un timbre admirable, entreprit de se produire en public et connut un succès phénoménal grâce à l'épouvantable fausseté de sa voix, le beau monde accourant en masse afin de se moquer d'une tare dont elle n'avait conscience.
Vingt ans après la mort de la "diva", c'est son pianiste, accompagnateur qui lui fut fidèle durant ces douze années de "carrière", qui narre l'aventure. De leur rencontre, au cours de laquelle il n'en crut ses oreilles sans oser lui dire la vérité car il avait besoin d'un job, à leur premier récital de bienfaisance. De l'enregistrement d'un disque à l'ultime triomphe du Carnegie Hall. Avec une certaine tendresse et un brin de nostalgie, Cosme Mac Moon, c'est son nom, évoque la folie douce de la Castafiore, leurs séances de travail, mais aussi la façon dont le public se délectait de ses couacs en riant sous cape, et comment il parvint à protéger Mrs Jenkins en la maintenant jusqu'au bout dans l'illusion...
L'auteur anglais Stephen Temperley signe un livret subtil, d'une drôlerie imparable, empli d'humanité, dont il se dégage un climat doux amer assez prenant. Stéphane Laporte, adaptateur, a su dans notre langue en retranscrire toutes les couleurs. Une bien belle partition, plus complexe qu'il n'y paraît, qu'il fallait confier à des comédiens expérimentés.
Et cela tombe bien. Remarquablement dirigés par Agnès Boury, Agnès Bove et Grégory Baquet révèlent l'étendue de leurs talents dans un jeu sincère, rigoureux, efficace, mais jamais caricatural. L'impayable aplomb que la première insuffle à celle qu'elle incarne, la brillante sobriété avec laquelle elle entonne et massacre les plus grands airs, mais aussi le mal-être qu'elle laisse transparaître lorsqu'elle semble percevoir les rires de l'assistance, réjouissent et émeuvent. L'élégante mélancolie dont le second habille son personnage, pansant tant bien que mal au fond d'un piano bar les blessures d'une vie de musicien ratée, ce regard à la fois lucide, narquois et bienveillant posé sur le passé qu'il distille au fil de la représentation, la profondeur avec laquelle il habite ses remords et regrets, ses silences enfin, séduisent et convainquent tout autant.
Très beau moment de rire et d'émotion.
Allez-y !
Réservez vos places en cliquant ci-contre :