C’est le scandale du mariage forcé en France. Rien ne destinait le football et la communication à convoler en juste noce. Mais le football, activité favorite des Français après manger, boire, regarder la télé et faire l’amour (on n’est pas sûr pour la dernière), ne pouvait pas passer à travers l’intérêt des médias et des annonceurs.
Et c’est là un paradoxe profond. Le football, sport basé sur la fourberie (comme tout sport dit de contacts, mais où chaque contact doit être retenu, d’où un plus grand fair-play dans les sports de percussions comme le rugby), la mauvaise foi des supporters et des acteurs forcés de quitter les études dès le début de leur adolescence. Peu, très peu de valeurs positives véhiculées intrinsèquement par le foot, et pourtant…
Devant ce paradoxe, blended décide d’interroger un spécialiste lui-aussi nourrit de dichotomie. Une allure à tenir un tripot pour trappeur dans le Grand Nord, mais un parcours d’entrepreneur à devenir gendre de Laurence Parisot. Un homme qui décide de lancer 4 magazines devant le cénotaphe de la presse écrite. Qui se revendique « intello-beauf« .
Parler foot avec Franck Annese, c’est comme entamer une discussion avec Socrates aux Corinthians. Le ballon rond n’est qu’un prétexte.
So Foot. So Film. Doolittle. Pédale. On croyait que la presse papier était morte ?
On fait ce qu’on sait faire, c’est aussi simple que cela. Moi, ce que j’aime, c’est raconter des histoires. Et je préfère le faire sur du papier. C’est vrai que la presse ne vas pas très bien. Nous, on a de la chance, on échappe à l’hécatombe, mais un jour tout ça s’arrêtera.
D’ailleurs, il y a très peu de publicités dans les titres de So Presse (société indépendante, fondée par les 3 anciens de l’Essec, Franck Annese, Guillaume Bonamy et Sylvain Hervé).
Si on se fie à la logique des achats médias en France, c’est normal. Le même magazine que So Foot en Angleterre ou en Allemange, on a 15 pages de pub en plus. Par exemple, Sport&Style, ils ont 50 pages de pub parce qu’ils sont distribués avec L’Équipe, mais personne ne le lit. Les annonceurs préfèrent mettre de la publicité dans un magazine de mode qui n’est pas lu, plutôt que dans un canard de foot qui fait 50.000 ventes.
Les gens qui font les achats médias, c’est des gens qui ne vont jamais dans les kiosques. Ils n’ont aucune notion de la réalité de la presse en France.
Les annonceurs ne veulent pas être associés au football. Mais quid de So Film ?
Je pense qu’il n’est pas assez beau encore. Moi, je n’aime pas la DA de So Film. Mais on va tout changer très bientôt. Il faut se régler. C’est un titre qu’on a lancé par accident.
Par accident ?
Oui. C’est Thierry Lounas (cofondateur de Capricci, avec Emmanuel Burdeau et François Bégaudeau, édition, distribution et production de films, ndlr) qui m’appelle de la part de François Bégaudeau, qui est un pote. Il me dit qu’il veut me rencontrer. À l’époque, on finissait l’écriture d’un scénario pour un long métrage. J’ai pensé que c’était pour ça qu’il voulait nous voir. En fait, le lendemain, il se fout complètement du long métrage, il me dit qu’il veut faire le So Foot du cinéma. Je dis oui tout de suite. Pour So Foot, c’était la même chose.
Et ce scénario ?
Il est finit. On est en train de contacter les acteurs. C’est l’histoire de 3 sœurs, dont une se marie, et de la préparation du mariage qui fait resurgir beaucoup de choses.
Comment fonctionne le groupe ? Est-ce ultra professionnel ou est-ce que ça ressemble aux start-up avec le baby foot au milieu de la salle de réunion ?
Le baby foot, il a fait 24h. On a tendance à casser tout ce qu’on a entre les mains. C’est un gros soucis pour les machines à café. Du coup, on a préféré prendre un vrai ballon et jouer au vrai foot.
On travaille dans un parking souterrain de 400m² avec 30 mecs et filles.
Y a-t-il un autre domaine dans lequel tu aimerais appliquer la formule de So Foot et So Film ?
Tous. Personne n’a la même approche que nous.
Il existe deux écoles. La première, c’est la presse à l’ancienne de transmission d’info pure. Mais depuis l’arrivée d’internet, c’est le web qui relaie l’info. Pour réagir, la presse a voulu copier internet : article court, plus ludique, voir merdique… les titres sont devenus des skyblog géants. L’actu chaude, c’est pour internet. Il faut apporter de l’analyse, c’est tout.
Nous, on va lancer un magazine de société, qui sortira tous les 15 jours. Un truc qui va dépoter. Un magazine déjà culte.
Mais d’autres domaines nous attirent. Comme la télé. C’est fou que personne n’ai fait un vrai mag sur la télé.
Puisque tu diriges un mag de foot et un mag de ciné, je dois te demander s’il existe un bon film sur le football ?
Le moins pire, ça reste Coup de tête. Mais les scènes de foot sont pathétiques. Thierry Poiraud et Benjmain Rocher sont en train de préparer un film sur le foot qui devrait être bien. (le film devrait s’appeler Goal of the dead et mélanger zombie et foot, ndlr)
Parlons football un peu. Les journalistes et les politiciens reprochent souvent aux footballeurs de ne pas savoir aligner trois mots. Mais on ne reproche jamais à nos dirigeants de ne pas savoir aligner trois jongles.
La victoire en 98 a fait beaucoup de mal. On a dit que l’équipe de France véhiculait un message fort de brassage, black-blanc-beur, que les joueurs étaient des exemples. Mais ce n’est pas leur fonction. On ne peut pas leur demander de devenir des exemples. Il y a une énorme incompréhension, un fossé même, qui marginalise les joueurs.
La France est un pays qui ne comprend pas ses footballeurs, mais qui ne comprend pas sa jeunesse non plus.
On n’a aucune culture foot dans ce pays. On a la seule équipe nationale sans style. Laurent Blanc me le disait, « le style de l’équipe de France, c’est de ne pas avoir de style. »
Même la presse. L’Équipe ne comprend rien au foot, ils font du populisme, comme L’Express ou Le Point. Ces titres ne disent qu’une seule chose : on a peur. Peur de tout. De son passé, de sa jeunesse, et bien sur de ses footballeurs.
Les joueurs sont mal éduqués, et surtout, ce sont majoritairement des noirs et des arabes. Forcément, ils ont plus les codes de Booba que de Sardou.
Le soucis, tout de même, c’est que le lynchage par les médias est systématiquement suivi par les instances.
Parce que la Fédé veut garder ses annonceurs. Avant Carrefour venait pour accoler son image aux valeurs de l’équipe de France. Aujourd’hui, Carrefour vient et demande que l’équipe de France devienne un représentant de leurs valeurs. Le système a été totalement inversé.
On a, d’une part, une tabloïdisation de la presse (François Morinière et Fabrice Jouhaud qui dirigent l’Équipe sont arrivés, à la base, pour lancer le Bild français, c’est dire le niveau) et de l’autre côté, la FFF qui a peur pour ses sous. C’est très populo. La Fédé n’est qu’en réaction.
Avant, les « déboires » des joueurs, ça ne sortait pas dans la presse, quand les téléphones ne faisaient pas appareils photo connectés aux réseaux sociaux. En 98, les joueurs s’envoyaient l’air comme des lapins, mais personne ne le savait.
On est au pays des Lumières, le foot c’est péjoratif. C’est propre à la France. Chez nous, si tu fais un BEP, t’es un idiot. On demande aux footeux d’être des exemples dans un pays où seules les études sont valorisées.
Les joueurs sont des salariés. Ils sont énormément payés parce qu’ils rapportent beaucoup aux clubs. Quand Zidane est transféré au Real Madrid pour 77 millions, la somme est remboursée en une semaine, juste avec les ventes de maillots. Finalement, c’est un système assez juste et même plutôt de gauche. Si on appliquait ce système aux entreprises plutôt.
Oui, c’est un système très à gauche puisque les salariés sont plus payés que les patrons. Sauf, que c’est plus compliqué que ça en réalité. Parce que les joueurs sont considérés comme des actifs dans les lignes de compta.
Mais si les gens ne veulent plus que les joueurs soient autant payés, il suffit d’arrêter de regarder le foot à la télé. Comme pour les acteurs ou les marques. Tu veux qu’il y ait moins d’argent, tu consommes moins.
Nous, à So Foot, on a appliqué un modèle différent. Il n’y a pas de dividende par exemple. Tout le monde est payé la même somme pour une pige. C’est un système transparent qui récompense la fidélité.
C’est un système humain, appliqué à taille humaine. Le but c’est de trouver un système humain applicable à taille nationale. Si je trouve, je deviens président de la République.