Il m’arrive – rarement – de résister à la tentation d’acheter de nouveaux livres d’histoire et de me tourner vers mon stock. En l’occurrence cette fois, la bibliothèque léguée par mon père qui partageait cette même passion avec moi. Il n’avait pas eu le temps de tous les lire, je ne sais pas si je l’aurai aussi … Et puis l’histoire qui s’écrit répond aussi à des modes, et surtout selon les archives que l’on découvre jour après jour. Cependant, ce qui frappe dans les ouvrages des historiens récents, c’est souvent leur style aussi barbelé qu’incompréhensible (sauf Max Gallo, par exemple, mais il est accusé de « faire du fric » alors qu’il écrit de façon fluide et élégante) et l’horripilant foisonnement des notules et des références.
Rien de tout cela dans la suite d’ouvrages que Philippe Erlanger a consacrée aux grandes heures de la monarchie française, d’Henri IV au Régent, en passant par le Grand Cardinal. J’ai choisi de commencer la collection par la biographie de Louis XIV, sans doute parce que cette époque de triomphe du classicisme français m’est depuis le lycée tout à fait sortie de la tête …. Ce n'est certainement pas l'ouvrage le plus récent sur le sujet, qui inspire beaucoup d'historiens, mais c'est peut-être justement pour cette raison, le recul, que j'ai eu envie de le lire. Et je l'ai lu avec un grand plaisir, bien des choses me sont revenues en mémoire ...
Car nous avions des repères solides lorsqu’on nous enseignait, entre le Lagarde et Michard pour la littérature et le Mallet-Isaac pour l’histoire, chaque année ce qui se passait en un siècle. Il paraît qu’aujourd’hui, nos jeunes collégiens apprennent ( ?) les événements historiques dans le plus parfait désordre.
Bref : un livre puisé aux sources et mémoires des contemporains et servi par un style d’une élégance toute « louisquatorzienne ». L’ouvrage couvre un très vaste spectre puisque le règne du Roi Soleil fut le plus long qu’ait jamais enregistré l’histoire de l’Europe : 72 années de 1643 à 1715 !
Philippe Erlanger s’attache à décrire les ressorts intimes de l’âme de cet enfant-roi mal aimé, ballotté dès ses plus jeunes années, menacé, humilié par les grands seigneurs frondeurs, tiraillé entre les factions et les factieux. Et c’est le comportement des hommes éminents de son temps qui m’a le plus intéressé : le parallèle entre les querelles de nos politiques d’aujourd’hui – de tous bords – est frappant.
La Fronde (entre 1648 et 1649, puis à nouveau entre 1650 et 1653) fut l’épreuve qui détermina son mode de pensée, son caractère impénétrable et son comportement futur. Cette révolution lui enseigna le malheur et la pauvreté, elle lui montra que le trône des capétiens avait des bases singulièrement fragiles. Les horreurs du désordre sont donc à l’origine du système de Louis XIV. Ainsi, les prémisses d’une monarchie constitutionnelle furent enterrés avec les prétentions politiques des Parlements, et les excès commis au nom d’une pseudo démocratie devaient fatalement amener les abus de l’absolutisme royal.
Philippe Erlanger tient la balance égale entre les souffrances des peuples pendant les trop longues guerres du règne et les acquisitions territoriales qui ont permis à la France de consolider son « Pré carré », et surtout la créativité, la vitalité, l’explosion culturelle et le rayonnement mondial de la France du Roi Soleil. Au vrai, selon l’estimation que donne l’historien, la totalité des frais de Versailles serait à comparer avec le coût d’un porte-avions moderne.
Et ce qui frappe, ce sont les querelles inexpiables entre les clans, les factions religieuses et les Grands : Colbert contre Fouquet puis contre Louvois, Condé contre Turenne, jansénistes contre jésuites : Louis XIV entretient la discorde entre ses ministres, ses évêques, sa famille, ses maîtresses. Son orgueil, son égoïsme, son goût de dominer, d’éblouir et de recevoir demeurent, jusqu’à la fin de sa vie, intacts.
Sa faute politique majeure, colossale dit l’auteur, reste naturellement la Révocation de l’Edit de Nantes : après une politique outrancière de conversions forcées, l’Edit de Fontainebleau du 22 octobre 1685 interdit le Protestantisme. Une décision qui entraîne l'exil de 300000 personnes dont une bonne partie de financiers influents, d’artisans habiles et de soldats de valeur qui viendront enrichir l’Europe entière, la guerre des Camisards. C’est l’une des grandes catastrophes de l’histoire de France, et pourtant, cet acte fut le plus populaire de son règne. S’il y avait eu un référendum, il eut reçu une très large majorité d’approbation dans le pays… Comme quoi, la démocratie …..
Comme pour Napoléon, la guerre de Succession d’Espagne sera fatale à Louis XIV. Le Grand Roi stoïque jusqu’au bout, mort quasiment debout sans avoir rien abdiqué de ses pouvoirs, n’a pas vu venir les temps modernes : la querelle des Anciens et des Modernes fait rage, le culte de l’Antiquité est dénoncé, la raison prônée par Descartes se déchaîne. Sic transit ….
Il aura du moins eu la sagesse en son testament et malgré l’aversion qu’il nourrissait à son encontre du fait de son comportement libertin, de désigner son neveu Philippe d’Orléans comme Régent de son arrière-petit-fils Louis XV.