Une Lecture Commune avec Val et Tiphanie
« Bienvenue à Pagford, petite bourgade anglaise paisible et charmante : ses maisons cossues, son ancienne abbaye, sa place de marché pittoresque… »
On aurait envie de se poser un peu dans ce petit coin d’Angleterre… et on aurait tort ! Car Pagford n’est pas si paisible qu’elle en a l’air au premier abord, loin de là ! Il faut dire que Barry Fairbrother, un des notables de la ville vient de mourir soudainement, et que du coup se réveillent les jalousies, se montent les intrigues pour ceux qui convoitent sa place au conseil. Une place importante puisque le remplaçant de Fairbrother fera peser la balance – ou non – en faveur du rattachement de la Cité des Champs à la ville, ou de la construction d’une clinique destinée à soigner les drogués de leur dépendance. La cité des Champs, un quartier pauvre où vit une concentration d’immigrés, de chômeurs, drogués, alcooliques, quand ils ne sont pas tout cela à la fois, devient l’enjeu majeur des habitants nantis de la ville, des décideurs.
Les haines se déchainent, les rancunes accumulées depuis plusieurs générations se réveillent et sous l’air bonhomme des habitants, le lecteur découvre bien vite leur part d’ombre et la violence latente, les mensonges, les compromissions, les bassesses et manœuvres politiques… Car tout est politique ici et le début du roman explique de façon précise les tenants et aboutissants des décisions du conseil de Pagford. J’ai d’ailleurs trouvé cette première partie plutôt longuette à lire, et également assez ardue puisqu’elle met en scène énormément de personnages différents, qui ont tous des ramifications les uns avec les autres. La narration passe sans cesse de l’un à l’autre et la lecture du roman est donc plutôt difficile au départ, d’autant plus que le lecteur ne ressent que peu d’attirance pour tous ces hommes et ces femmes si peu sympathiques, tous cachant un secret plus ou moins honteux, tous faux et hypocrites… Car le fantôme de Barry Fairbrother flotte sur la petite ville et son ombre omniprésente fait ressortir la noirceur de chacun…
On suit les notables de la ville, ceux qui briguent la place au conseil, leurs enfants, et également certains des habitants de la Cité des Champs, et notamment la famille de Terri, une droguée notoire qui pourtant tente régulièrement de se sevrer pour conserver la garde de son petit garçon de 4 ans Robbie. Sa fille adolescente Krystal est l’archétype de l’ado en révolte, violente, vulgaire, mais devient néanmoins vraiment attachante au fil des pages. On imagine comment elle aurait pu évoluer dans un milieu plus propice, on comprend que son salut sera extrêmement difficile à atteindre et que la pauvre fille risque de ne pas pouvoir s’extraire de son milieu. Les personnages dépeints par JK Rowling ont tous une psychologie complexe et au fil du récit, bien qu’ils soient tous plus ou moins détestables avec leurs défauts et leurs turpitudes que l’on découvre au fur et à mesure, le lecteur s’attache à eux et prend plaisir à suivre le fil de l’intrigue.
Et c’est là qu’intervient tout l’art de l’auteur. Ses personnages d’ados, tous compliqués, complexés, mal dans leur peau et dans leur tête, quel que soit la couche de la société dont ils sont issus sont vraiment attachants, poignants même dans leur détresse. On comprend que ces jeunes qui sont l’avenir de la société ont un avenir restreint, tant il est entouré de barrières : les barrières sociales qui interdisent de passer d’un milieu à un autre, les barrières dressées par l’éducation, par les secrets et les non-dits de leurs parents, par le manque d’amour, tout simplement… Une constatation qui fait froid dans le dos.
Voici donc après la magie de Harry Potter une satire sociale acide, un roman dramatique dépeignant sans doute avec beaucoup de réalisme une micro société enfermée dans ses principes et ses idéaux, ses règles. L’auteur peint avec une plume incisive le dénuement de cette classe populaire, sa détresse et la pauvreté aussi bien pécuniaire que psychologique dans laquelle elle vit.
Si je n’ai pas vraiment accroché à l’intrigue première et aux tractations politiques des élus de la ville, et ai regretté le ton souvent très vulgaire des dialogues (mais qui va avec les personnages), j’ai cependant adoré les descriptions des caractères, leur évolution. J’ai aimé voir leurs espoirs se réveiller, leurs désirs pointer, et observé avec consternation le dénouement de cette histoire. Un roman au final passionnant (bien qu'un peu long) sur les inégalités sociales et sur l’hypocrisie ambiante de la société à leur encontre. Un roman qui fait froid dans le dos par son réalisme, et qu’on pourrait sans doute transposer à bien des villes de France ou d’ailleurs. Violences familiales, drogue, vol, délations ou mensonges, rien n’est épargné au lecteur qui se prend à frissonner et ne peut s’empêcher de croire que de tout ce magma de vilenies, il ne peut ressortir que du tragique.
Une place à prendre va devenir une série pour la BBC d’ici octobre 2014.
« Une place à prendre », éditions Grasset, 682 pages, 24€
Un immense merci à Léa des Editions Grasset, qui m'a fait parvenir ce roman.
De très nombreux lecteurs à retrouver chez Babelio. Vous êtes tant de blogueurs à l'avoir lu que j'ai la flemme de tout répertorier... Vous pourrez cependant trouver un récap des blogueurs directement sur le site de Une place à prendre.