End of Watch
End of Watch, mettant en scène les tribulations de deux flics en uniforme dans les quartiers mal famés de Los Angeles, est le nouveau film de David Ayer, réalisateur d’Au Bout de la Nuit, mais aussi (et surtout) scénariste de Training Day. Pour cette plongée dans le quotidien de ces deux flics, Ayer décide d’emprunter la voie du documenteur, utilisant des images filmées par les protagonistes, et diverses caméras disséminées un peu partout (caméscopes des bad guys, caméra de la voiture de police, caméras de sécurité, etc). Un choix a priori judicieux pour un film se voulant une fiction réaliste sur le quotidien des policiers en uniformes, mais qui peine à tenir la route tout le long du métrage. Scénaristiquement tout d’abord, on a bien du mal à comprendre comment le personnage de Jake Gyllenhaal peut continuer tout du long en toute impunité à filmer ses patrouilles alors que tout le monde le somme d’arrêter, et surtout alors qu’il passe la plupart de son temps à ne pas appliquer la loi tout à fait correctement. David Ayer lui-même ne semble d’ailleurs pas croire au principe du found footage, puisqu’il passe à une réalisation « classique » un peu n’importe quand, du moment que ça l’arrange. On est bien loin du pari réussi d’un District 9, qui abandonnait lui progressivement le documenteur pour passer ensuite totalement à une réalisation cinématographique.
Ensuite, End of Watch dérange pas mal au niveau du message qu’il véhicule. A la vision du long-métrage, on a la désagréable impression que le réalisateur et scénariste cautionne totalement les entorses à la loi commises par ses héros. Personne ne s’inquiète du fait qu’ils fassent ce qui leur chante, tant qu’ils sont efficaces, et leurs supérieurs et collègues les félicitent même la plupart du temps soit d’avoir abattu des gangsters, soit d’avoir pénétré dans une maison sans mandat. Un côté fascisant parfois assez puant il faut l’avouer, même si le retour de bâton sera au final assez douloureux pour les héros (bien qu’on n’ait pas l’impression que le final les pousse à une remise en question).
Mais il faut tout de même reconnaitre que End of Watch possède pas mal de qualités, à commencer par un casting du tonnerre. La complicité entre Jake Gyllenhaal et Michael Peña est évidente, et la relation entre les deux personnages est crédible et attachante. Grâce à quelques petites scènes de la vie quotidienne, David Ayer rend ses héros vivants et crédibles. On n’en dira cependant pas autant du gang de mexicains, absolument ridicules et semblant tout droits sortis d’un cartoon, à s’insulter comme des frères Dalton sous acide. End of Watch possède aussi plusieurs scènes marquantes qui participent pleinement à l’ambiance parfois assez crue du film, comme celle où les deux flics retrouvent des gosses bâillonnés et enfermés dans un placard car ils dérangeaient leur beau-père camé. Ce sont ces scènes-là qui rendent le film mémorable, tout autant que les dialogues entre les deux héros, et font que l’on pardonne au film ses quelques (gros) défauts.
End of Watch n’apporte finalement pas forcément grand-chose de neuf au genre (les amateurs de séries policières n’auront que peu de surprises), mais s’avère plutôt recommandable grâce à son rythme soutenu et son duo d’acteurs principaux (si on excepte le message quelque peu rance).
Note : 6/10
USA, 2012
Réalisation : David Ayer
Scénario : David Ayer
Avec : Jake Gyllenhaal, Michael Peña, Natalie Martinez, Anna Kendrick, David Harbour
Argo
Après avoir épaté tout le monde avec les excellents Gone, Baby gone et The Town, Ben Affleck s’attaque pour son troisième long-métrage en tant que réalisateur à sujet entièrement différent, tout en restant dans le genre du thriller. Cette fois, c’est à l’histoire vraie de l’exfiltration audacieuse de cinq américains lors de la révolution iranienne que Ben Affleck s’intéresse. Une exfiltration mouvementée, portée par un plan assez incroyable.
Poursuivant dans la continuité de ses longs métrages précédents, il applique une mise en scène classique mais solide à cette étonnante histoire. La reconstitution de la fin des années 70 (costumes, coiffures, technologie…) est précise et épatante, et Affleck s’applique même à reproduire le grain et le découpage des films de l’époque. On pense souvent aux Hommes du Président, aux Trois Jours du Condor, et autres grands thrillers des années 70, sans qu’Argo n’ait à rougir de la comparaison. Le film évoque aussi pas mal dans sa première partie (lors de la préparation du plan d’exfiltration) les films de braquage de l’époque, tels que L’Arnaque. Par chance, Ben Affleck ne cède jamais aux sirènes du spectaculaire, mais préfère poser son ambiance et ses personnages afin de maintenir le spectateur intéressé.
Une fois l’introduction passée, la première moitié du film adopte un ton plutôt léger en adéquation avec le côté incroyable de son intrigue. Alan Arkin et John Goodman, tous deux formidables, apportent une bonne dose d’humour à leurs personnages de producteurs (à noter que John Goodman incarne ici John Chambers, le génial maquilleur de La Planète des Singes). Mais dès lors que l’agent de la CIA incarné par Ben Affleck se rend en Iran pour mettre le plan à exécution, le ton se fait progressivement plus sérieux, et le suspense va crescendo jusqu’à la très tendue dernière demi-heure. Eprouvant pour les nerfs, et malgré le fait que l’on sache déjà comment l’histoire va se terminer, le final devrait faire s’agripper à son siège même le plus blasé des spectateurs.
Avec sa mise en scène et son montage inspirés, et son histoire prenante, Argo se classe instantanément au rang des meilleurs films de l’année, finissant d’introniser Ben Affleck comme l’un des meilleurs réalisateurs hollywoodiens actuels. De quoi se réjouir de le voir porter à l’écran dans un futur proche le remake du Fléau de Stephen King…
Note: 8.5/10
USA, 2012
Réalisation : Ben Affleck
Scénario : Chris Terrio
Avec : Ben Affleck, Bryan Cranston, Alan Arkin, John Goodman, Victor Garber, Tate Donovan, Clea DuVall
The Master
Après l’exceptionnel There will be Blood, inutile de dire que Paul Thomas Anderson était attendu au tournant. Pour les besoins de l’énigmatique The Master, il retrouve son acteur fétiche Philip Seymour Hoffman, et ajoute une autre tête à sa liste d’interprètes, Joaquin Phoenix, de retour sur les écrans après un hiatus de quatre ans. The Master, librement inspiré de la vie de Ron Hubbard, fondateur de l’Eglise de Scientologie (bien que l’équipe du film réfute tout rapprochement), narre la rencontre et l’amitié entre deux hommes que tout oppose a priori : un soldat fraichement revenu de la Seconde Guerre Mondiale, alcoolique et instable, et un éminent penseur, créateur d’un mouvement sectaire prenant de l’ampleur aux Etats-Unis.
A l’instar de There will be Blood, The Master pourra décontenancer plus d’un spectateur par son rythme lent et surtout son point de vue volontairement distancié. Comme dans le précédent film du réalisateur, le spectateur doit accepter de se laisser porter, sans chercher à découvrir un thème ou à comprendre où le film va le mener. Anderson ne cherche pas à proposer une charge contre la Scientologie (ou tout autre mouvement sectaire), il étudie à la manière d’un scientifique les relations entre ses personnages. Une neutralité qui peut s’avérer assez dérangeante ici, vu le sujet abordé. En résulte un sentiment mitigé à la vision du film, puisque souvent on ne sait pas vraiment sur quel pied danser. Reste que The Master laisse son empreinte longtemps après le visionnage, et qu’il est difficile pour un cinéphile de ne pas ressentir une certaine fébrilité devant un film déployant une telle perfection cinématographique.
The Master est une fois de plus visuellement magnifique, et servi par des prestations extraordinaires de l’ensemble du casting. Philip Seymour Hoffman et Joaquin Phoenix bouffent l’écran dans toutes leurs scènes, leurs personnages se complétant parfaitement. Le premier réussit à dégager à la fois bonhomie et bonne humeur communicative, tout en devenant proprement effrayant lorsqu’il se sent attaqué sur ses théories, comme lors de l’impressionnante scène de la réception mondaine lors de laquelle il renvoie dans les cordes un pauvre invité ayant eu le malheur de contester ses croyances. Quant au second, il se sort magistralement d’un rôle difficile de loser à moitié fou, alcoolique, agressif et réfractaire à toute forme d’autorité, et parvient à faire ressortir l’humanité du personnage sans tomber dans la caricature. Les seconds rôles ne sont pas en restes, tout particulièrement Amy Adams qui s’impose avec aisance dans un personnage terrifiant de femme prête à tout pour porter la carrière de son mari.
Avec The Master, le cinéma de Paul Thomas Anderson continue de se radicaliser, et même si ce nouveau joyau est certainement moins abordable que ses précédentes œuvres, les fans du réalisateur, et tout particulièrement de There will be Blood ne devraient pas être déçus du voyage.
Note : 8/10
USA, 2012
Réalisation : Paul Thomas Anderson
Scénario : Paul Thomas Anderson
Avec : Joaquin Phoenix, Philip Seymour Hoffman, Amy Adams, Jesse Plemons, Laura Dern
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