Fusée coréenne

Publié le 12 décembre 2012 par Egea

Derrière les condamnations unanimes et panurgiques du tir nord-coréen, n'y a-t-il pas des éléments autrement significatifs, d'un point de vue géopolitique ?

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1/ Tout d'abord, la profonde ambiguïté entre les mots "missiles" et "fusée". Donc, les Occidentaux dénoncent ce tir de "missile", sous-entendant une étape vers la prolifération et un accroissement de tension. Pourtant, les faits, rien que les faits : il s'agit du lancement d'une fusée et de la mise en place d'un satellite. Ce qui amène plusieurs commentaires :

  • comme je l'ai déjà indiqué, il y a plusieurs proliférations. Et une des plus importantes est la prolifération balistique. De missiles balistiques.
  • un missile balistique est "balistique" parce que sa trajectoire est, pendant quelque temps, exo-atmosphérique. Mais après, elle redevient terrestre.
  • une fusée, elle, reste dans l'espace. Ou du moins, soyons exacts, la tête de la fusée qui pose un satellite ou emporte une navette ou tout autre objet.

Conclusion partielle : en quoi l'accès à l'espace par la Corée du nord est-il condamnable ?

2/ Il reste, évidemment, que les techniques sont les mêmes (ou, soyons toujours exacts, présentent de nombreux points communs, au moins pour la partie initiale) entre un missile balistique et une fusée. Donc, implicitement, il y a "risque" de prolifération balistique.

3/ A quoi jauger ce risque ? aux intentions ? c'est en fait ce qui se passe. La Corée est jugée "hostile", donc on condamne son accès à l'espace même s'il est, en l'espèce, objectivement pacifique (avez vous remarqué que le missile a été tiré de la côte Ouest pour éviter que les débris ne tombent en mer du Japon, ce qui aurait été le cas si les Coréens du nord avaient utilisé leur pas de tir habituel, sur la côte est ?). Pourquoi pas, même si cela ressemble aussi à de la "fabrication de l'ennemi", pour reprendre les mots de P. Conesa. Toutefois, remarquons aussi le lien entre l'espace et le nucléaire (et plus généralement, les liens entre les différentes sphères stratégiques qui se recoupent mutuellement) : aujourd'hui, pour être une puissance nucléaire qui compte, il faut être une puissance spatiale.

4/ Une fois passée cette expression de relativisme qui me paraît saine, vis-à-vis des bêlements des médias, what else ? Tout simplement que le tir a été réussi, ce qui manifeste beaucoup de choses, et tout d'abord l'élévation du niveau technologique des Coréens du nord. Le satellite ferait une centaine de kilos (certains m'ont dit que ça pouvait aller jusqu'à 250 Kg) : ce n'est pas rien.

5/ De même, je constate une gestion médiatique bien plus évoluée qu'autrefois. Je l'avais déjà suggérée dans le dernier billet consacré au sujet, mais elle se confirme, avec l’invitation de journalistes au pénultième tir (qui avait d’ailleurs échoué), les photos de la compagne du nouveau leader et autres signes subreptices d'évolution. Poussons le trait : ne serions nous pas en face d'une évolution du régime, dans une sorte de mélange sino-vietnamien, de main-mise du régime par son autoritarisme, mais qui passerait vers un krypto-affairisme passant par le développement d'affaires avec le reste du monde ? A la différence de la Chine et du Vietnam, le symbole serait non le parti communiste, mais la dynastie Kim, largement épaulée par un entourage militaro-business qui aurait décidé d'utiliser la jeunesse du nouveau "grand leader" pour pousser ses pions. Cette évolution irait de pair avec une certaine technologisation, qui serait le vrai message stratégique du lancement d'hier.

6/ Se pose alors la question du "comment" : comment, en effet, un pays qu'on dit fermé (même si on commence désormais à avoir des reportages, ce qui était impensable il y a cinq ans) réussit à rattraper son retard économique, au point de mettre sur orbite un petit satellite ? Outre un territoire et une population assez nombreuse, outre une direction stratégique qui sait se fixer des objectifs et les tenir dans le temps, constatons surtout que l'essentiel se trouve désormais en source ouverte : la troisième couche du cyberespace, informationnelle, permet désormais (même sans espionnage) à réaliser assez aisément des performances techniques qui auraient été autrefois impensables.

Hypothèses, bien sûr. L'avenir nous éclairera...

O. Kempf