Ecoutez de votre mieux.
J’avais honte de mon corps
Qui se présentait partout
Avec mot, m’enveloppant
De sa chair à vêtements.
Je le trouvais si grossier
Avec les os et le sang
Que souvent je l’ai maudit
Sur la mer et sur la terre.
Je songeais à le noyer
Dans le fond de la rivière,
Et maintenant me voici
Agenouillée sans genoux
Sur le sol où il s’allonge
Je comprends qu’il ne me reste
Que ses souvenirs à lui
Qui vont, viennent, angoissés,
De mon absence de tête
A mon absence de pieds
Comme une triste marée
Qui se ferait dans la mer.
Je suis un oiseau dans l’air
Ne sachant où se poser,
On m’a coupé mon seul arbre
Le sol lui-même est fuyant,
Ah quel est donc ce pays
Où jamais l’on me répond
Où l’on ne sait écouter
Une voix persuasive?
***
Jules Supervielle (1884-1960) – Les Amis inconnus (1934)