Peillon mieux les profs !

Publié le 12 décembre 2012 par Sylvainrakotoarison

Patron des enseignants, le ministre aimerait bien les augmenter. Mais le choix présidentiel a été tout autre : le recrutement massif de nouveaux fonctionnaires ne laissera aucune marge pour une éventuelle revalorisation de leur rémunération. Les électeurs avaient été prévenus.

J’apprécie plutôt Vincent Peillon, le Ministre de l’Éducation nationale depuis le 16 mai 2012. Avec son petit air d’élu radical socialiste de la IIIe République, il a quitté depuis plusieurs années le devant de la scène de la politique politicienne pour ne se consacrer qu’à son domaine d’origine et de prédilection, l’enseignement. Certifié puis agrégé en philosophie, puis docteur en philosophie (sa thèse a porté sur Merleau-Ponty) et directeur de recherches au CNRS (travaux sur Ferdinand Buisson), ce petit-fils de Léon Blum (un homonyme, spécialiste des reins) a collaboré auprès de Henri Emmanuelli à l’époque où ce dernier était Président de l’Assemblée Nationale (entre 1992 et 1993).

À 52 ans, le voici propulsé numéro trois dans l’ordre protocolaire du gouvernement, juste après le Premier Ministre Jean-Marc Ayrault et l’ancien Premier Ministre Laurent Fabius. Une position de choix dans le dispositif gouvernemental qui n’était pas forcément évident et un petit exploit personnel. Élu député de la Somme à 36 ans en juin 1997 grâce à la vague anti-Juppé, Vincent Peillon n’a jamais pu se faire réélire au scrutin majoritaire uninominal (à cause de ses positions contre la chasse dans une région qui compte beaucoup de chasseurs) et a dû se contenter de mandats européens (en juin 2004 et en juin 2009) pour poursuivre sa carrière politique.

Faisant partie des enfants terribles du PS avec Arnaud Montebourg (ce dernier dirait "jeunes lions" par opposition aux éléphants), Vincent Peillon avait soutenu avec beaucoup de dynamisme la candidature de Ségolène Royal à l’élection présidentielle en 2007 puis en 2008 au congrès de Reims (il s’imaginait même premier secrétaire du PS en novembre 2008), mais il s’était éloigné d’elle un an après au point qu’il fut accusé de vouloir récupérer les sympathisants de Ségolène Royal au profit de… François Hollande, à la suite d’une polémique où il avait recommandé à l’ancienne candidate de ne pas participer à l’une des conventions de son courant à Dijon le 14 novembre 2009 (et elle était venue quand même, cassant tout le travail de fond qui était prévu à cet atelier par sa mousse médiatique). Dans cet atelier avaient d’ailleurs participé Jean-Louis Bianco, Najat Vallaud-Belkacem, David Assouline, Gabriel Cohn-Bendit et Jean-Luc Bennahmias.

Et de fait, Vincent Peillon s’était écarté du combat politique, renonçant sans hésitation à participer à la primaire socialiste (il souhaitait la candidature de Dominique Strauss-Kahn) et devenu l’un des plus fidèles lieutenants du candidat François Hollande.


Plutôt étiqueté du centre gauche bien que positionné à l’origine à l’aile gauche du PS (aux côtés de Julien Dray, Benoît Hamon, Henri Emmanuelli et Arnaud Montebourg), il avait organisé une convention mémorable à Marseille où il avait réussi le tour de force de réunir sur la même estrade l’ancien candidat communiste à l’élection présidentielle Robert Hue, le leader écologiste Daniel Cohn-Bendit, l’ancienne candidate radicale de gauche Christiane Taubira, et la numéro deux du MoDem, Marielle de Sarnez le 22 août 2009.

Assez maladroit à certaines occasions, il avait renoncé à débattre avec le ministre Éric Besson et Marine Le Pen dans l’émission "À vous de juger" d’Arlette Chabot le 14 janvier 2010, un lâchage sans précédent qui avait passablement agacé Martine Aubry, la première secrétaire du PS, qui devait ensuite rétropédaler pour sauver l’image de son parti.

Depuis près de sept mois, Vincent Peillon est dans une sorte de nirvana. Il a reçu son bâton de maréchal, le Ministère de l’Éducation nationale, un poste souvent difficile pour booster une carrière politique (les Finances ou l’Intérieur sont bien plus efficaces) mais qui a eu dans les trente dernières années des titulaires prestigieux : Jean-Pierre Chevènement, René Monory, Lionel Jospin, François Bayrou et François Fillon…

Très isolé, Vincent Peillon semble se mouvoir sur une autre planète, il se croit le Président de la République autonome de l’Éducation nationale. Il fait son bonhomme de chemin sans se préoccuper de ses collègues ministres et …de la situation financière de la France.

Certes, changeant de celui qui voulait dégraisser le mammouth, ce ministre ne peut paraître que sympathique auprès des enseignants et de tout le personnel éducatif, parce qu’il est l’un des leurs (comme le furent du reste Lionel Jospin et François Bayrou). Le problème, c’est qu’à chacune de ses déclarations, il se fait régulièrement recadrer par le Premier Ministre ou le Président de la République.


Cela a commencé très tôt puisque quelques heures à peine après son installation rue de Grenelle, il avait fait des déclarations sur les rythmes scolaires, la date des vacances, etc. Des déclarations probablement de bonne volonté mais qui allaient bien trop vite au goût de l’Élysée qui voudrait absolument faire des consultations avant de toucher à ces sujets très sensibles pour les électeurs.

Clef de la cohésion du programme électoral de François Hollande (basé sur la jeunesse et l’éducation), Vincent Peillon est l’un des rares ministres à voir ses effectifs augmenter. La décision de recruter 43 000 enseignants a été prise sur le plan budgétaire, ce qui devrait l’amener à réfléchir sérieusement sur la filière du concours (actuellement, par manque de candidats compétents, 700 postes n’ont pas été pourvus ; comment réussir un recrutement aussi massif ?).

Le 10 décembre 2012 sur RMC, Vincent Peillon a commis sa dernière boulette. Il a déclaré qu’il n’excluait pas une revalorisation du salaire des enseignants : « Je suis prêt, à partir de janvier 2013, à ouvrir la grande négociation qu’il n’y a jamais eue sur les contenus, les carrières, le temps de travail et la question d’une revalorisation. ». Cette déclaration avait un but compréhensible, celui de mobiliser les vocations et d’attirer de jeunes candidats pour les nombreux postes qu’il veut pourvoir.

Soyons clair : les enseignants en France sont largement sous-valorisés par rapport à leur niveau universitaire (bac+5 demandé maintenant) et leur travail s’effectue dans des conditions de plus en plus difficiles à cause de l’indiscipline généralisée dans les classes. La dernière grande revalorisation a été réalisée sous le gouvernement de Michel Rocard au début des années 1990. Leur salaire est d’ailleurs déjà calculé en fonction de leurs vacances, forcément plus longues en raison des congés scolaires. Donc, une augmentation de la rémunération des professeurs serait très pertinente (et est très attendue mais chaque profession souhaite toujours revaloriser sa rémunération). Actuellement, un enseignant français débute à 1 660 euros net, salaire qui monte laborieusement à 2 000 euros au bout de dix ans, ce qui fait environ 15% de moins que la moyenne des pays de l’OCDE (et 34% de moins qu’en Allemagne). 

Seulement, cette idée d’augmenter les enseignants va à l’encontre justement du programme présidentiel de François Hollande : il avait misé sur un recrutement massif dans l’Éducation nationale et il avait été très clair, dès ses débats lors de la primaire socialiste, pour dire qu’il ne serait pas question d’augmenter ni les enseignants ni les fonctionnaires en général. C’est du reste ce qui a été indiqué lors de la présentation du projet de loi de finances pour 2013 le 28 septembre 2012.

Vu l’état des finances publiques, c’est un choix politique que devra assumer François Hollande devant les fonctionnaires : il ne peut pas en même temps en recruter plus et les augmenter.

Nicolas Sarkozy avait été bien plus logique dans ce domaine. Même si sa règle aurait dû un peu mieux s’adapter dans le détail, le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite avait pour objectif d’une part, pour moitié, de réduire les dépenses de l’État, et d’autre part, pour l’autre moitié, de revaloriser leurs traitements (c’était en tout cas les déclarations d’intention, je n’ai pas les statistiques après cinq ans d’une telle politique pour affirmer si la moitié du gain économisé est bien passée dans la rémunération des fonctionnaires restants ; toute étude serait intéressante à lire sur le sujet).


D’ailleurs, les réactions n’ont pas tardé : toujours dans la polémique, Jean-François Copé a immédiatement demandé à Jean-Marc Ayrault de "recadrer" Vincent Peillon et d’exposer clairement les intentions gouvernementales sur ce sujet. Jean-Marc Ayrault est habitué à l’exercice puisque, comme indiqué plus haut, après les rythmes scolaires annoncés dès le 17 mai 2012, l’allongement des vacances de la Toussaint le 14 juin 2012, Jean-Marc Ayrault avait encore dû recadrer son ministre sur ses déclarations en faveur de la dépénalisation du cannabis le 15 octobre 2012, déclarations assez irresponsables pour un Ministre de l’Éducation nationale chargé de veiller à la santé de tous les enfants scolarisés.

Vincent Peillon doit vivre sur son petit nuage d’idéalisme et doit chercher à réenchanter dans son coin le rêve français. Cette petite bulle a pourtant déjà éclaté chez ses amis et dans son électorat. Serait-il insensible au monde extérieur ?

Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (12 décembre 2012)
http://www.rakotoarison.eu

Pour aller plus loin :
Le recrutement des 60 000 fonctionnaires.
François Hollande.
Jean-Marc Ayrault.
Projet de loi de finances 2013.

http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/peillon-mieux-les-profs-127432