Patron des enseignants, le ministre aimerait bien les augmenter. Mais le
choix présidentiel a été tout autre : le recrutement massif de nouveaux fonctionnaires ne laissera aucune marge pour une éventuelle revalorisation de leur rémunération. Les électeurs avaient
été prévenus.
À 52 ans, le voici propulsé numéro trois dans l’ordre protocolaire du gouvernement, juste après le Premier
Ministre Jean-Marc Ayrault et l’ancien Premier Ministre Laurent Fabius. Une position de choix dans le dispositif gouvernemental qui n’était pas forcément évident et un
petit exploit personnel. Élu député de la Somme à 36 ans en juin 1997 grâce à la vague anti-Juppé, Vincent Peillon n’a jamais pu se faire réélire au scrutin majoritaire uninominal (à cause de ses
positions contre la chasse dans une région qui compte beaucoup de chasseurs) et a dû se contenter de
mandats européens (en juin 2004 et en juin 2009) pour poursuivre sa carrière politique.
Faisant partie des enfants terribles du PS avec Arnaud Montebourg (ce dernier dirait "jeunes lions" par opposition aux éléphants), Vincent Peillon avait soutenu
avec beaucoup de dynamisme la candidature de Ségolène Royal à l’élection présidentielle en 2007 puis en
2008 au congrès de Reims (il s’imaginait même premier secrétaire du PS en novembre 2008), mais il
s’était éloigné d’elle un an après au point qu’il fut accusé de vouloir récupérer les sympathisants de Ségolène Royal au profit de… François Hollande, à la suite d’une polémique où il avait recommandé à l’ancienne candidate de ne pas participer à
l’une des conventions de son courant à Dijon le 14 novembre 2009 (et elle était venue quand même, cassant tout le travail de fond qui était prévu à cet atelier par sa mousse médiatique). Dans cet
atelier avaient d’ailleurs participé Jean-Louis Bianco, Najat Vallaud-Belkacem, David Assouline, Gabriel Cohn-Bendit et Jean-Luc Bennahmias.
Et de fait, Vincent Peillon s’était écarté du combat politique, renonçant sans hésitation à participer à la
primaire socialiste (il souhaitait la candidature de Dominique Strauss-Kahn) et devenu l’un des plus
fidèles lieutenants du candidat François Hollande.
Plutôt étiqueté du centre gauche bien que positionné à l’origine à l’aile gauche du PS (aux côtés de Julien
Dray, Benoît Hamon, Henri Emmanuelli et Arnaud Montebourg), il avait organisé une convention mémorable à
Marseille où il avait réussi le tour de force de réunir sur la même estrade l’ancien candidat communiste à l’élection présidentielle Robert Hue, le leader écologiste Daniel Cohn-Bendit, l’ancienne candidate radicale de gauche Christiane Taubira, et la numéro deux du MoDem, Marielle de Sarnez le 22 août 2009.
Assez maladroit à certaines occasions, il avait renoncé à débattre avec le ministre Éric Besson et Marine Le Pen dans l’émission "À vous de juger" d’Arlette Chabot le 14 janvier 2010, un lâchage sans précédent
qui avait passablement agacé Martine Aubry, la première secrétaire du PS, qui devait ensuite rétropédaler
pour sauver l’image de son parti.
Depuis près de sept mois, Vincent Peillon est dans une sorte de nirvana. Il a reçu son bâton de maréchal, le
Ministère de l’Éducation nationale, un poste souvent difficile pour booster une carrière politique (les Finances ou l’Intérieur sont bien plus efficaces) mais qui a eu dans les trente dernières
années des titulaires prestigieux : Jean-Pierre Chevènement, René Monory, Lionel Jospin,
François Bayrou et François Fillon…
Très isolé, Vincent Peillon semble se mouvoir sur une autre planète, il se croit le Président de la
République autonome de l’Éducation nationale. Il fait son bonhomme de chemin sans se préoccuper de ses collègues ministres et …de la situation financière de la France.
Certes, changeant de celui qui voulait dégraisser le mammouth, ce ministre ne peut paraître que sympathique
auprès des enseignants et de tout le personnel éducatif, parce qu’il est l’un des leurs (comme le furent du reste Lionel Jospin et François Bayrou). Le problème, c’est qu’à chacune de ses
déclarations, il se fait régulièrement recadrer par le Premier Ministre ou le Président de la République.
Cela a commencé très tôt puisque quelques heures à peine après son installation rue de Grenelle, il avait
fait des déclarations sur les rythmes scolaires, la date des vacances, etc. Des déclarations probablement de bonne volonté mais qui allaient bien trop vite au goût de l’Élysée qui voudrait
absolument faire des consultations avant de toucher à ces sujets très sensibles pour les électeurs.
Clef de la cohésion du programme électoral de François Hollande (basé sur la jeunesse et l’éducation), Vincent Peillon est l’un des rares ministres à voir ses
effectifs augmenter. La décision de recruter 43 000 enseignants a été prise sur le plan budgétaire, ce qui devrait l’amener à réfléchir sérieusement sur la filière du concours (actuellement,
par manque de candidats compétents, 700 postes n’ont pas été pourvus ; comment réussir un recrutement aussi massif ?).
Le 10 décembre 2012 sur RMC, Vincent Peillon a commis sa dernière boulette. Il a déclaré qu’il n’excluait pas
une revalorisation du salaire des enseignants : « Je suis prêt, à partir de janvier 2013, à ouvrir la grande négociation qu’il n’y a jamais eue
sur les contenus, les carrières, le temps de travail et la question d’une revalorisation. ». Cette déclaration avait un but compréhensible, celui de mobiliser les vocations et d’attirer
de jeunes candidats pour les nombreux postes qu’il veut pourvoir.
Seulement, cette idée d’augmenter les enseignants va à l’encontre justement du programme
présidentiel de François Hollande : il avait misé sur un recrutement massif dans l’Éducation nationale et il avait été très clair, dès ses débats lors de la primaire socialiste, pour dire qu’il ne
serait pas question d’augmenter ni les enseignants ni les fonctionnaires en général. C’est du reste ce qui a été indiqué lors de la présentation du projet de loi de finances pour 2013 le 28 septembre 2012.
Vu l’état des finances publiques, c’est un choix politique que devra assumer François Hollande devant les
fonctionnaires : il ne peut pas en même temps en recruter plus et les augmenter.
Nicolas Sarkozy avait été bien plus logique dans ce domaine.
Même si sa règle aurait dû un peu mieux s’adapter dans le détail, le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite avait pour objectif d’une part, pour moitié, de réduire les
dépenses de l’État, et d’autre part, pour l’autre moitié, de revaloriser leurs traitements (c’était en tout cas les déclarations d’intention, je n’ai pas les statistiques après cinq ans d’une
telle politique pour affirmer si la moitié du gain économisé est bien passée dans la rémunération des fonctionnaires restants ; toute étude serait intéressante à lire sur le sujet).
D’ailleurs, les réactions n’ont pas tardé : toujours dans la polémique, Jean-François Copé a immédiatement demandé à Jean-Marc Ayrault de "recadrer" Vincent Peillon et d’exposer
clairement les intentions gouvernementales sur ce sujet. Jean-Marc Ayrault est habitué à l’exercice puisque, comme indiqué plus haut, après les rythmes scolaires annoncés dès le 17 mai 2012,
l’allongement des vacances de la Toussaint le 14 juin 2012, Jean-Marc Ayrault avait encore dû recadrer son ministre sur ses déclarations en faveur de la dépénalisation du cannabis le 15 octobre 2012, déclarations assez irresponsables pour un Ministre de l’Éducation nationale chargé de veiller à la santé de tous les enfants
scolarisés.
Vincent Peillon doit vivre sur son petit nuage d’idéalisme et doit chercher à réenchanter dans son coin le
rêve français. Cette petite bulle a pourtant déjà éclaté chez ses amis et dans son électorat. Serait-il insensible au monde extérieur ?
Aussi sur le
blog.
Sylvain Rakotoarison (12 décembre
2012)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Le recrutement des 60 000
fonctionnaires.
François Hollande.
Jean-Marc Ayrault.
Projet de loi de finances 2013.
http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/peillon-mieux-les-profs-127432