La science se veut logique et rationnelle. Et cependant, pendant longtemps, elle a soutenu la thèse d’un Univers, le nôtre, né spontanément, subitement, à partir de rien. Il y a dix ans encore, le « dogme » voulait que tout commençât avec le BIG BANG, c'est-à-dire, en termes mathématiques, avec le point zéro d’une SINGULARITE.
L’avant-big bang ? Les équations n’étaient pas en mesure de nous en parler. Et, par principe, quand les équations sont muettes, la science est muette.
Mais c’était oublier un autre très grand principe de la logique, « une idée simple mais puissante » : LA RELATION DE CAUSE A EFFET, selon laquelle, une chose en entraînant toujours une autre, rien de peut venir de nulle part, de rien.
Au départ, nous explique-t-on, la notion de Big bang découle directement des observations et du DIAGRAMME D’EDWIN HUBBLE. Dans un véritable coup de génie, cet astrophysicien a su établir un rapport entre la distance et la vitesse des galaxies. Conséquence de ce rapport : « plus les choses sont éloignées, plus elles s’éloignent rapidement ». Donc, « l’Univers grandit avec le temps, il est en expansion » et partant, il a forcément fallu qu’il prenne naissance à un instant donné. Ainsi, le Big bang – cette « explosion » originelle survenue « il y a 13,7 milliards d’années » - devint-il « l’une des idées majeures de la science du XXe siècle ». « Réponse élégante à la plus importante question posée par la science » - celle des origines – il confortait en sus l’idée biblique, judéo-chrétienne (ou musulmane), de Genèse.
Aujourd’hui, pourtant, se lèvent des voix scientifiques – et pas des moindres – qui osent tout remettre en question.
« En fait, le Big bang ne colle pas », va jusqu’à émettre, perplexe, le jeune cosmologiste Param SINGH.
Quid de l’AVANT-BIG BANG ?
Maintenant, la question n’est plus taboue. Du moins pour un groupe, très actif, d’ « esprits les plus extrêmes de la science », dont on en arrive à présent à se demander s’ils ne seraient pas les nouveaux Copernic, les Galilée du XXIe siècle.
L’idée que « tout a émergé en un instant, à partir du néant », par exemple, rebute le Pr KAKU.
Pour quelles raisons ? On y revient : tout ne peut pas venir de rien, parce que tout effet doit avoir une cause. Le Big bang, tel qu’il est présenté par le MODELE STANDARD DE LA COSMOLOGIE, n’est donc pas possible, car, en soi, il constitue un défi à la logique même.
D’origine japonaise, le Pr Kaku s’interroge beaucoup sur LA NATURE DU VIDE. Il veut « comprendre l’état de néant » et, pour ce faire, il nous entraîne dans l’OHIO où, à l’intérieur de « la plus grande CHAMBRE A VIDE du monde », la NASA « génère du néant en grande quantité ». Constituée de « deux cent tonnes d’aluminium massif », dotée des « dimensions d’une cathédrale », la chambre à vide « expulse l’air », puis « gèle les dernières molécules » demeurant en son sein, de façon à « créer un vide presque parfait ». Sauf que, n’omet pas de préciser Kaku, ce vide possède toujours des dimensions (celles de la chambre qui l’abrite) et est toujours observable (ce qui signifie que « de la lumière peut y voyager » et qu’il contient, donc, des photons). Nous avons bien dit « vide presque parfait » et non pas vide total !
D’après le Pr Kaku, « le néant serait un vide parfait qui ne comprendrait que de l’énergie », laquelle, de temps à autre, par une explosion infinitésimale, se transformerait en matière.
Selon nombre de savants, les LOIS DE LA PHYSIQUE et le Temps « ne sont pas arrivés avec le Big bang », pas plus qu’elles ne doivent leur existence à la matière. Il y avait, sans nul doute, « quelque chose de préexistant ».
Scientifique « très respecté », le Pr Andrei LINDE s’exprime à son tour et, d’emblée, nous assène « l’idée du Big bang est biaisée ». Pourquoi ? Parce que des questions essentielles demeurent, scientifiquement, sans réponse : « pourquoi l’explosion ? Pourquoi l’expansion ensuite ? ».
Partant de la constatation –irréfutable à présent – que l’explosion du Big bang était une explosion tout à fait particulière en ceci qu’elle a créé un univers homogène et ordonné, au rebours de toute explosion normale, forcément chaotique, Linde postule qu’elle a été provoquée par la matière, et que c’est l’INFLATION qui a tout ordonné. Cette inflation préexistait déjà au Big bang, « dans un état de vide énergétique ».
N’hésitant pas, audacieusement, à mettre le Big bang de côté, Linde place l’inflation au centre du processus de création. Mieux encore : il image son propos en évoquant un FROMAGE SUISSE. Le fromage suisse, nous fait-il remarquer, se compose d’une « partie fromage » et d’une partie « bulles ». Selon Linde, dans le cas qui nous occupe, il faut se figurer que la partie fromage représente le vide, lequel est également une « inflation éternelle », tandis que chaque bulle est un univers, apparu lorsque l’inflation éternelle « était momentanément à cours de carburant ». L’inflation n’est autre que l’énergie du vide, et elle aussi a ses ratés. Bien plutôt qu’un début, le Big bang serait donc, dans cette perspective, « la fin de quelque chose d’autre », une rupture dans le continuum énergétique du vide, une fluctuation quantique. Linde pense que de pareilles ruptures, de pareilles baisses de tension momentanées du vide ont dû être extrêmement nombreuses (aussi nombreuses, pour reprendre l’image, que les trous dans un gruyère !). Conséquence logique : « il y a d’autres univers que le nôtre ». Linde a forgé l’idée –fascinante – de MULTIVERS.
Param SINGH est encore plus catégorique que Linde : selon lui, il n’y a tout bonnement « pas eu de Big bang ».
Tout d’abord, « l’Univers a bien dû s’étirer depuis quelque chose », et non depuis rien comme le prétend, assez absurdement, le Modèle Standard.
D’autre part –et cela est très important – « plus on remonte le temps, plus l’espace devient petit, infiniment petit ». Or, quand les mathématiques se frottent à l’infini, ce n’est jamais bon, ça sonne comme un aveu d’échec…la preuve : l’énorme contradiction qui existe – et persiste à exister – entre les mathématiques qui décrivent l’univers macroscopique et celles qui décrivent le monde subatomique, domaine des quantas.
La physique quantique est incompatible avec la gravité classique. D’où le besoin –impérieux – de « nouvelles mathématiques » qui se fait actuellement sentir…
Singh, qui n’a peur de rien, s’est lancé dans l’élaboration d’un « schéma » qui combinerait les deux systèmes, de façon à mieux rendre compte du fait -somme toute paradoxal- que « l’infiniment grand émerge de l’infinitésimalement petit ».
Au terme de ce travail, il est parvenu à éliminer le lancinant problème du « tout, depuis rien » en mettant en évidence le fait que « la gravité devient répulsive lorsque l’Univers devient infiniment petit ». Aux yeux de Param Singh, le Big bang n’aurait en conséquence pas été une explosion, mais bien plutôt un GRAND REBOND causé par « l’effondrement sur lui-même d’un Univers précédent » et « l’Univers irait [ainsi] de contraction en expansion », en une suite ininterrompue de CYCLES. Car la nature aurait une faiblesse pour « ce qui est cyclique » (Singh donne, pour autre exemple, les saisons).
Admettons…mais comment a débuté ce cycle pulsatile de rebonds infinis ?
Le jeune cosmologiste d’origine indienne avoue qu’il est loin de posséder encore la réponse. Il persiste toutefois dans sa négation vigoureuse de l’explosion première.
Autre voix : celle du Pr SMOLIN, homme calme, souriant, à la voix douce. Chiffonné par le problème de « la singularité » (génératrice, selon ses dires, d’ « un manque de compréhension »), ce savant admet volontiers qu’ « il y a eu un monde avant le Big bang ». Tout en partageant beaucoup avec les approches de Linde et de Singh, il a toutefois échafaudé une interprétation toute personnelle, laquelle aime à utiliser l’analogie biologique : « cet univers a eu un ancêtre » qui n’est autre…qu’un « autre univers ».
Et pour cause, puisqu’il serait né « à l’intérieur d’un TROU NOIR ». En effet, selon Smolin, il y aurait, à l’intérieur de « chaque trou noir », un « REBOND » au cours duquel, développe-t-il, « tout se contracte et puis l’expansion repart ».
Smolin ne serait pas étonné qu’il y ait eu, à l’origine, un autre univers « semblable au nôtre » où un gigantesque nuage de gaz aurait explosé puis, ensuite, généré un trou noir qui, lui-même, aurait abrité, occasionné notre Big bang. « Les preuves théoriques, plaide le cosmologiste, avancent dans le sens de cette idée ».
Dans sa vision biologisante, darwinienne même, il serait assez enclin à attribuer à ces énigmatiques et captivants objets célestes que sont les trous noirs un rôle d’organes reproducteurs des Univers !
Quoiqu’il en soit, « le Big bang n’est certainement pas un commencement ». N’oublions pas, du reste, à l’appui de sa théorie, que chaque trou noir possède, à l’instar de celui-ci, une singularité.
Mais, comme tous les autres, le Pr Smolin poursuit ses investigations…
Le jeune Pr Neal TUROK essaie aussi, à sa manière, de déblayer le terrain. De deux choses l’une, affirme-t-il : « soit le Temps a pris naissance avec le Big bang et donc, n’existait pas auparavant » ; soit l’Univers que nous connaissons actuellement est la résultante d’ « un évènement violent, survenu au sein d’un univers préexistant ». L’idée de Turok est que « nous vivons sur un objet étendu appelé BRANE, une sorte de MEMBRANE TRIDIMENSIONNELLE ». Les branes seraient multiples, et séparées entre elles par des espaces qui seraient des dimensions supplémentaires. « Dans ce modèle, poursuit Turok, on a au moins besoin de deux de ces branes » et l’on a également besoin que lesdites branes « se percutent ». En se heurtant, elles provoqueraient, dans l’espace intermédiaire entre elles, des émissions de plasma et d’énergie et hop, le tour serait joué – ce serait le Big bang !
Turok y croit : « Ce modèle devient une vraie alternative » aux spéculations audacieuses – dérangeantes à ses yeux – des autres savants cités. Pourtant son modèle suscite une opposition féroce venant de Linde, qui le qualifie volontiers de « tour de passe-passe mathématique ». En ce moment même, le débat entre les deux grands cerveaux fait rage.
Alors ? « Qu’est ce qui a causé le Big bang ? »
La « collision de branes dans une autre dimension » chère à Turok ? Le rebond à l’intérieur d’un trou noir qui relierait entre elles deux galaxies « très lointaines » et dont il aurait été (ou serait), en quelque sorte, la fontaine blanche ?
A-t-il seulement existé ?
Ne serait-il pas plutôt ce « grand rebond » dont parle Param Singh ? Ou encore la « simple énergie inflationnelle émise par un mégavers qui meurt », ainsi que le postule Linde ?
Pour l’instant, vous l’avez deviné, nul n’est en mesure de répondre. Les esprits en ébullition de tous ces savants excités se contentent de proposer – et de lutter pour leurs théories.
Une chose, pourtant, est en train de vaciller, de prendre sérieusement du plomb dans l’aile : le fameux modèle du « tout à partir de rien « évoqué plus haut. Pour preuve : sommité de la science cosmologique et longtemps l’un des adversaires les plus acharnés de toute idée d’avant-Big bang, le très sérieux professeur britannique Sir Roger PENROSE en est venu lui-même à reconsidérer sa position !
Tout tourne, dans son optique, autour de la notion de TEMPS. D’après le Modèle Standard, en effet, le temps est né avec le Big bang, qui en a été l’instant zéro. C’est là le principal obstacle à toute idée d’avant-Big bang. Car, bien sûr, l’avant est une notion complètement temporelle.
Comment sortir de ce dilemme, de cette impasse conceptuelle ?
Penrose répond : « la science a besoin d’étudier la fin de l’Univers ». Si celle-ci se traduit – comme c’est fort probable – par « un refroidissement » au cœur duquel toute matière finirait par disparaitre, il ne resterait plus, dès lors, que des PHOTONS. Les photons étant des particules dénuées de masse, il va de soi que le Temps, du coup, disparaitrait, retournerait au point zéro. Or, le point zéro, c’est le Big bang ! A un tel stade, la masse entière de l’Univers finit par se trouver convertie en énergie pure…et c’est reparti pour un tour : nouveau Big bang et donc, engendrement d’un nouvel univers !
Cette idée de Penrose est, conceptuellement, très séduisante. En effet, elle réduit à néant l’opposition entre « petit et gros ». De même résout-elle avec élégance le problème du Temps, en l’incluant parfaitement dans « un système cyclique » comprenant « un avant et un après ».
Mais c’est aussi – et surtout – une remarquable volte-face.
A quoi est-elle due ?
Lorsqu’on lui pose la question, nullement embarrassé, Sir Roger Penrose sourit, puis rit et invoque le besoin de se remettre en cause, de relancer la réflexion. Après tout, les scientifiques ne sont-ils pas faits pour cogiter ?
En tout cas, cogiter sur l’hypothèse d’un avant-Big bang est, aux dires et aux yeux de Sir Penrose, « terriblement stimulant ».
Reste qu’en dépit de la logique –somme toute élémentaire – qui les sous-tend (il n’y a pas d’effet sans cause), les idées de pré-Big bang apparaissent encore comme « très radicales ». Ceci, bien entendu, n’est pas fait pour jouer en leur faveur.
Comme les moulins ont besoin d’eau, elles auraient bien besoin de confirmations, de preuves concrètes. La science n’est rien si elle ne soumet pas à vérification ses théories…
C’est pourquoi le documentaire nous entraine, subitement, « dans un coin tranquille de LOUISIANE ».
Le LIGO est un immense double tuyau de quatre kilomètres de long qui court la campagne sous une austère carapace de béton gris. Sa fonction ? « Traquer les ONDES GRAVITATIONNELLES avec des rayons laser et des miroirs ». Pourquoi ? Parce que les ondes gravitationnelles « sont produites par des évènements cataclysmiques, tel le Big bang » et qu’elles ont la propriété de déformer le tissu de l’espace-temps.
Voilà enfin un appareil ! Qui plus est, un appareil d’une précision scrupuleuse dans ses mesures, dont, nous dit-on, « le potentiel est énorme » ; un « prototype de détecteur de Big bang au sol ».
Par ailleurs, les savants comptent également se tourner vers l’espace où, bientôt, ils expédieront, à bord de satellites, « d’autres interféromètres ». Tout cela dans l’espoir de « trouver, peut-être, la trace, la preuve d’un précédent Big bang ».
En attendant, assez prudente, la majorité des chercheurs se contente aujourd’hui de concéder qu’il y a eu « peut-être, quelque chose avant le Big bang ». Car, redisons-le, si celui-ci avait jailli à partir de rien, « trop de questions de base resteraient sans réponse ».
Le Pr Neal Turok attend de pied ferme le verdict des données.
Quant au Pr Kaku, il se borne, l’œil malicieux, à conclure : « oui, il y a eu une Genèse, c’était un Big bang ; ça arrive tout le temps ». Ainsi, selon ses propres dires, concilie-t-il deux positions philosophiques qui lui sont également chères : celle du bouddhisme, reçu de sa culture nipponne, qui désavoue toute idée de fin et de commencement des choses, et l’influence chrétienne qu’il a subie, par le biais du « catéchisme ».
P. Laranco