« Elizabeth Schwarzkoph chante : à sa voix du monde
Est suspendu car les anges lui ont transmis
Leur pouvoir qui n’est constitué que de grâce.
A l’air qui vibre les sphères répondent : muse
N’est pas un vain mot mais le lieu où la musique
Prend corps qui brûle sans se consumer, oxyde
En fleur rouge épanoui au-dessus du gouffre,
Celle que veut cueillir exactement celui
Qui marche depuis longtemps vers le même but
Et qui, après son nom, inscrit, en post-scriptum :
In memoriam, connaissant qu’il n’y a as
D’éternel retour mais qu’un chant perpétuel
De la source de soif jaillit qui désaltère
Le marcheur sans qu’il soit privé de son désir. »
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Grenouilles vertes, vous chantez comme la Chine
Et le piano hongrois, tantôt sous la pluie,
Tantôt dans l’ombre du cerisier. Vos discours
S’accordent mieux que le miel aux temps qu’ils déchirent ;
Vos accrocs disent mieux le temps qui nous a faits
Ce que nous sommes. Chez vous les oiseaux qui volent
Viennent rafraîchir leur plumage et boire au ciel
Où vous nagez comme à l’envers et suspendues.
Interrompre l’éclat, instaurer le silence
Exercices qui vous sont coutumiers, dont tire
Profit la faune volatile habituée
À la musique. Muet, l’iris d’eau vient-il
À fleurir, que bruyamment vous en saluez
Le soufre jaune, vous assurant l’empli du temps.
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Le houx est coupé. La symphorine a fleuri.
La valériane épanouit ses corymbes
Dans la haie où le ciel tombe en ajours, en voiles
Qui se déchirent dès que le soleil en armes
Miraculeusement inaugure un nouveau
Règne. C’est aussitôt que de leur bec armé
Les pics en tribus vous aident à déchiffrer
La mythologie au secret entre l’écorce
Et le liber. Clameur en forêt. À la porte
On crie : au parlement des oiseaux on n’est plus
D’accord. La chevêche est cachée au fond de l’arbre.
Sans elle on ne peut rien décider. La hulotte
S’est retirée avant l’aube. La buse tourne
Où la lune était. On a des soucis nouveaux.
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Entre Nangis et Provins
Les bûcherons en maillot
Font fumer le bois vert.
La plaine rapiécée
Escalade les collines.
Le ciel est de cendre bleue.
À Lusigny les pommes sont mûres.
Sous les peupliers et le gui,
Il y a des chevaux au champ.
Un troupeau paît
Parmi les taupinières.
Un clocheton d’ardoise
Dépasse les conifères.
La route s’insinue
Au pied de Chaumont.
Il pleut menu.
Un homme va
Avec son parapluie.
Ce menu papillon,
Qui est blanc
Crayonné de noir,
Passe l’eau
Sans écluse
Ni pont.
Frênes qui froissez le ciel,
On voit vers quels chiffons le noyau vous pulse,
Ayant nourri dans la terre la tigelle
Et tiré de l’ombre le lait.
Corneilles à cloche-pied.
L’érable lève son offrande.
À l’aplomb du chêne
Un corbeau désigne le zénith.
Les geais cassent le bois menu,
Mettent tout pêle-mêle,
Parfois d’une plume
Signent le chantier.
La tourterelle
Qui s’abreuvait au frisson de l’eau
À mon pas s’effraie,
Bat des ailes, franchit le chemin,
Efface sous les feuilles
Ses reflets.
Sur un seul fil
Toutes les tourterelles
Comparent les gouttes de pluie.
Elles calculent de mémoire
L’inclinaison de la planète,
Supputent l’heure
Favorable à l’envol.
Inlassablement, sans feindre aucun fil,
Sans enfreindre aucune loi,
La pluie fil-à-fil et sans fin
Pique, recoud le tissu qu’elle tisse.
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Bibliographie
Poésie
Rites et offrandes, almanach poétique, 2002
Registre, Champ Vallon, 1998
Louange, Champ Vallon, 1996
Liturgie, Champ Vallon, 1992
Fragments de la France, Champ Vallon, 1990
Royaumes, Seuil, 1962, réed. La différence, 1992
Livre d’artiste
Ce que Corneille crie, Champ Vallon, coll. Détours, 1989
Prose
Le Louvre entrouvert, Champ Vallon, 1997
Le message de Paul Cézanne, Champ Vallon, 1996
Études pour une muse, Champ Vallon, 1995
Voyage au verso, Champ Vallon, 1989
Sur le motif, Champ Vallon, 1986
Récit et roman
Des chevaux parmi les arbres, Champ Vallon, 1992
Le jour qu’on a tué le cochon, Champ Vallon, coll, détours, 1991
Journaux
Fleuve sans fin, Journal du Saint-Laurent, Gallimard, 1986
Mont-Royal, Gallimard, 1981