On pourrait croire que l’État est actuellement entièrement tendu vers la résolution de problèmes primordiaux comme la crise monétaire, la montée en flèche du chômage ou de la pauvreté, la baisse générale du niveau d'éducation ou la corruption galopante dans la République. Que nenni ! Il sait trouver aussi les ressources pour s'occuper de problèmes encore plus importants comme les escargots brestois ou les hamsters d'Alsace.
Il faut bien comprendre ici qu'on s'attaque à des questions de principes, de celles qui fondent la question même de l'écologie au cœur de nos beaux territoires français de campagnes riantes, de forêts luxuriantes et de pâturages accueillants. Il ne peut être question, dans ces sujets, de demi-mesure, de pis aller ou de compromis : la nature ne peut se satisfaire d'approximations lorsqu'elle est pilotée d'une main de maître par l’État ouvrier qui raffine tout le territoire hexagonal pour en faire cet écrin louangé de par le monde.
Partant de ce noble principe, l’État, tel un Gandalf devant le Balrog de Morgoth, ne pouvait faire autrement que de poser de sa voix puissante (vox populi, vox dei que voulez-vous) un bon gros "Vous Ne Passerez Pas" à tous les bétonneurs cupides et ridicules qui, la bave aux lèvres, ne rêvent que d'une chose : construire des maisonnettes, des chalets, des lotissements à couleurs pastels et autres maisons de retraite avec "Le Val Zheimer" écrit à la pyrogravure sur le frontispice en pin des Vosges. Et quoi de mieux, pour préserver les forêts et les vertes prairies que d'invoquer, par exemple, la survie d'une espèce à la fois protégée et toute mignonne ?
Ça tombe bien, voici le Hamster d'Alsace.
Et voilà c'est très malin, je m'attendais à quelque chose comme ça. Lorsque j'ai expliqué à la rédaction que je traiterais le sujet, j'ai bien vu que l'enthousiasme de certains déclinait nettement, à commencer par celui de Roger, notre documentaliste. Il est gentil, Roger, mais si on n'était pas entre libéraux biens sous tous rapports, il serait probablement encarté CGT du Livre, et les hamsters, ça le branche pas trop, alors il fait des petites blagounettes pas drôles quand il peut. Les lecteurs auront compris que la photo n'est pas celle du Noble Hamster d'Alsace dont il est question ici.Or donc, ce Hamster est une espèce protégée (au contraire de l'homme blanc chrétien hétéro bi-pratiquant à tendance masochisto-libérale, sur lequel on peut tirer à vue). Et c'est normal : il est tout tout mignon avec ses petites pattes et son petit museau et sa petite espérance de vie de deux ans environ (on y reviendra) et sa petite queue (au contraire de l'homme blanc truc qui n'a que des sales pattes, un gros pif, une queue ridicule et une espérance de vie foutrement trop longue pour des milliers d'écolos qui rêvent d'une Terre dépolluée de sa présence). Et comme toutes les espèces protégées, il a un besoin vital que l'humain (qui le menace) s'occupe de lui en préservant ses zones de reproduction et ses aires de chassejeux.
Et comme c'est l’État qui décide, et qu'en plus, c'est pour bien respecter une directive européenne (dont l'infraction pourrait coûter des thunes), on va procéder avec la douceur habituelle pour ce genre de cas : la moindre discussion et le moindre compromis sont rapidement étouffés, en utilisant l'argument ultime du "Ta gueule c'est magique" ou sa variante pleutre "Pitoutfaçon c'est pas moi c'est l'Europe". Rien de tel, pour traiter un problème, que de faire intervenir un ninjamster qui va rapidement mettre de l'ordre dans les ronchonnements chafouins des élus locaux. Et tant pis pour le développement local (et les emplois à la clef). Le Ninjamster d'Alsace doit survivre.
Pour bien comprendre l'enjeu, voici une petite carte qui donne l'impact de terriers sur quelques unes des communes concernées, avec le rayon d'action de 600 m du ninjamster effervescent.
Comme on peut le constater, chaque vague trou duquel peut, éventuellement, sortir un hamster d'Alsace, un hamster commun ou n'importe quelle autre cochonnerie de rongeur jadis considéré comme nuisible mais oh oh oh bioohohohdiversité diversité hop hop hop est tendrement entouré d'une zone tampon, de sécurité, dans laquelle il ne fera pas bon vivre pour un humain, d'autant que pour compenser les éventuelles pertes de hamsters constatées à la suite des aménagements de territoire, il est prévu des lâchers de hamsters.
Oui, vous avez bien lu, les communes ou les particuliers concernés par une occupation scandaleuse de DMZ hamstérienne devront faire des lâchers de hamsters. C'est en France, c'est dantesque, mais c'est tout mignon. Et puis, on va faire reposer sur un nombre restreint de communes la responsabilité de sauver d'une disparition certaine une espèce absolument essentielle à tout l'écosystème avoisinant (mais si mais si), une espèce toute mignonne avec ses petites pattes et sa petite queue et son petit museau qui frémit tout mimi et qui était pourchassée depuis des millénaires et qui passe donc avant le développement humain, les emplois et le bien être de la population locale parce qu'après tout, la Nature, c'est plus fort que tout mais pas que l'Homme voyons (nous sommes les plus forts même si la moindre tempête ou le premier volcan venus foutent une panique sans nom et ne discutez pas de la cohérence de tout ceci, je suis en train de faire un billet sur des *$£% de hamsters, là, ça demande une concentration de derviche tourneur, cette histoire, merde.)
Bref.
Vous l'aurez compris : une masse assez considérable de pognon sera cramée, en France, dans des régions où on ne peut pas dire que l'emploi est super-booming, pour d'un côté, ne surtout pas déranger des poignées de bestioles, et de l'autre, ne surtout pas créer de zone commerciale ou d'activité dont on aurait besoin pour, justement, amasser des masses considérables de pognon (afin de les cramer sainement en protection de la nature, par exemple). On préfère mettre la charrue avant les bœufs les trous avant les hamsters. Heureusement, à la fin, nous aurons permis à deux sortes de trous de perdurer sagement : ceux des hamsters (qu'ils ne rebouchent pas avant de claboter, ces petits branleurs) et ceux des finances publiques que l’État creuse assidûment (et n'est pas prêt de reboucher, ce gros branleur).
Ce pays est foutu. Mais les hamsters, eux, seront sauvés.
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