Magazine Culture

Est-il jamais trop tard pour Avancer ?

Par Secondflore

C’est donc l’histoire d’un premieroman sorti incognito chez Gallimard en septembre 2012. Enfin, quand je dis incognito, ce n’est pas tout à fait vrai : on me glisse dans l’oreillette qu’il s’est trouvé en septembre quelques pionniers pour en vanter les mérites, tandis que la moitié des livres sortis, paraît-il, n’auraient pas eu l’ombre d’un écho dans la presse.
Mais vous aviez entendu parler, vous, de Maria Pourchet ?
Pour être franc, moi, non. Mais alors pas du tout. J’ai entendu son nom fin novembre, par la bande, comme on dit, et la plus sûre des bandes puisque c’était celle de Décapage.

Avancer, Maria pourchet, Gallimard
Le lendemain, je suis entré dans deux librairies : ah oui, on l’avait, m’a répondu le libraire à chaque fois, le nez dans sa base de données, mais on ne l’a pas recommandé. C’est ça aussi, être inconnu chez Gallimard : quand on achète votre livre, le libraire ne s’en rend pas compte, et hop, vous disparaissez des étalages. Mais j’avais vraiment du temps je suis opiniâtre, et j’ai fini par le trouver.
Je l’ai commencé dans le métro, comme il se doit. Le début était un peu déroutant, mais au premier rire, page 21, ma voisine a penché la tête pour voir le titre. "Avancer", donc.

Avancer, c’est tout ce que ne fait pas l’anti-héroïne, Victoria, qui regarde passer le monde depuis son balcon, à la fois persuadée qu’un grand destin l’attend quelque part (la Voie royale, qu’on lui avait promis avec son beau diplôme), mais qui ne fait absolument rien pour provoquer ce destin. Il faut dire qu’elle a trouvé une bonne planque en se maquant avec un de ses anciens profs de fac, un sociologue en avance – l’un des rares à savoir que la sociologie n’existe pas, attendu que les gens mentent à l’enquêteur et sur les questionnaires, mettent les croix n’importe où.

Sauf que bientôt, le prof en avance se retrouve avec la garde de deux jumeaux d’un premier mariage (un petit génie et une cruche absolue). Sauf que bientôt Victoria, pour payer les factures, doit travailler : on lui confie par piston une étude sur les utilisateurs de vélib’. Et la voilà partie dans les rues de Paris, à se demander comment elle pourrait bidonner au mieux l’étude, élaborant des stratégies complexes pour réaliser ne serait-ce qu’un véritable entretien.

A ce stade du résumé, je vous entends : "Ah oui, d’accord. Le thème du glandeur magnifique qu’un imprévu plonge dans la vraie vie. Je l’ai déjà lu dix fois". Mais si je vous demande un titre, un seul… hein ?

(...)

Eh oui, vous ne trouvez pas. Moi non plus, pour être franc. Je sais pourtant que j’en ai lu un paquet, mais aucun de mémorable. Entre ceux qui sont écrits avec les pieds parce que l’auteur a vraiment un poil dans la main, ceux qui prétendent délivrer un message (en général : le monde est pourri, l’entreprise c’est mal, la littérature c’est mieux, merci les gars) et les "générationnels" se lamentant du sort des intellos précaires dans un style branchés de presse magazine, ceux qui surnagent sont peu nombreux. Et souvent inégaux – voir le malin "Libre, seul et assoupi" de Romain Monnery, le seul dont je me rappelle la lecture, grâce à quelques passages épiques. 

Mais je digresse, pardon.
Qu’a-t-il donc de plus que tous ces romans, ce "Avancer" ?
A peu près tout. D’abord Maria Pourchet tient le rythme de bout en bout (c’est rare). Elle tient aussi le ton, léger et malicieux, d’une narratrice inconséquente (mais pas inconsistante) qui flotte au-dessus de sa propre histoire, avec cet infime décalage qui déforme la réalité juste ce qu’il faut pour la mettre à nu, et qui mène chacun des personnages au bout de sa logique. Qui mènera Victoria, par exemple, à monter un business avec les deux clochards du bas de la rue, au bord du grand trou d’un chantier de métro.
Voilà qui suffirait à la sortir illico du lot des premiers romans de septembre. On pourrait invoquer Martin Page à son meilleur, ou le Pennac période Malaussène, mais l’essentiel n’est pas là.
L’essentiel, c’est qu’on rit. Et attention : pas juste un sourire en coin au hasard d’un bon mot, non – du vrai comique de situation, tout en ironie et sans la moindre auto-complaisance. On ne rit pas grâce à l’auteur, on rit avec elle, et chacun sait qu’on se souvient mieux des rires partagés.

… Bref !
Deux jours plus tard, le rédac’chef de Standard me demande quel livre on pourrait bien mettre en avant pour le numéro de janvier, sachant que la rédaction commençait seulement à recevoir quelques livres de la rentrée à venir, j’ai levé le doigt au fond de la classe, et j’ai dit "Moi je sais ! On n’a qu’à parler de Maria Pourchet." Anticipant les objections (j’apprends un peu, quand même), j’ai avancé que certes le livre n’avait pas d’actu® (hou!) en janvier mais que les bons livres ne meurent pas, que bien peu d’autres en avaient parlé et qu’il serait tout à la gloire de Standard d’avoir été le premier à offrir un piédestal à Maria P., du haut duquel, etc.
Bon, je n’ai peut-être pas exactement dit ça. En tout cas le rédac’chef, après avoir écouté poliment, m’a rétorqué que je pouvais me dispenser de la suite de la réunion et que je devrais lui copier cent fois Il est interdit de parler d’un livre de septembre au mois de janvier.

Alors j’ai promis de me venger ici. Et je vous invite instamment à partager à cette vengeance. Lisez, riez, croissez et multipliez, satisfaits ou remboursés.

On en reparle.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Secondflore 3019 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Dossier Paperblog

Magazines