Cette semaine, je fais court car il faut préparer ce weekend à venir, tant attendu, travailler, se préserver de la grippe, de la bronchite et de la connerie ambiante. Pas facile.
Cinéma :
Peu importe(nt) les sorties, toutes plus ou moins vaines, voire présomptueuses (même si j'ai envie de voir Marina Abramovic: The Artist Is Present, juste pour voir, car je trouve cette femme passionnante, ainsi que son travail, ce qui n'augure d'ailleurs pas forcément d'un bon film documentaire, mais bon !), cette semaine un seul film mérite vraiment qu'on reste assis SANS BOUGER sa grosse tête, SANS RIRE SOTTEMENT alors que rien ne prête à rire, SANS SE GOINFRER de pop corn bruyant et malodorant, SANS ENTRER ET SORTIR avec affectation pendant le film, c'est
High noon (1952, 1h25)
de Fred Zinneman
sur une histoire de Carl Foreman
avec Gary Cooper
et avec Grace Kelly, Thomas Mitchell, Katy Jurado, Lloyd Bridges
et un quarteron de vrais méchants, dont le jeune et prometteur Lee Van Cleef
Ce film déploie une rare densité dramatique, sans doute due au parti pris du réalisateur : faire coïncider le temps du film avec celui de l'action.
L'action.
Le shérif Kane est confronté à un choix impossible, en gros c'est soit sa jeune et jolie nouvelle femme quaker, donc non-violente, soit son devoir et la sécurité de la ville dont il a la charge. Certain de la solidarité naturelle de la communauté, il fait le choix des armes et se retrouve finalement seul à combattre. C'est un combat contre des malfaiteurs malfaisants, mais aussi bien sûr contre la pleutrerie bien-pensante. L'action se déroule entre 10h40 et midi, le film dure 85 mn.
Le film.
C'est un thriller sec et brûlant. Zinneman, qui n'a pourtant jamais été une flèche à Hollywood, utilise toutes les armes de son cinéma, cadrages serrés sur le drame et ses enjeux, espaces grand-ouverts sur l'angoisse qui monte : l'image récurrente du vide de la voie ferrée déserte, ce temps mort lourd de menace qui revient régulièrement occuper tout le champ, donnera plus tard des idées à Sergio Leone.
L'arrière-plan.
Ce film de 1952 qui montre la solitude extrême du héros dans son combat contre le mal, dans une ambiance de lâcheté généralisée, n'est pas arrivé par hasard dans le paysage assez policé du ciné hollywoodien de l'époque. La commission Mc Carthy qui traque alors les "activités anti-américaines", notamment parmi les professionnels du cinéma (les communistes de Hollywood, pour faire court), fait régner un climat de terreur face à laquelle certains des plus grands noms se montrent d'une servilité bien peu virile. Pas tous.
Sans avoir le panache d'Humphrey Bogart, de Lauren Bacall, John Huston, Gene Kelly qui militèrent ouvertement contre la commission Mc Carthy, Gary Cooper, par ailleurs républicain et conservateur convaincu, refuse de participer au climat délirant de dénonciation qui gangrène Hollywood et la démocratie. Quand le rôle du shérif Kane lui est proposé, il accepte, enthousiaste et, selon l'historien du cinéma Patrick Brion, consent à diminuer des 3/4 son cachet habituel pour être partie prenante du projet.
Pour l'essentiel, ce western d'exception est l'oeuvre de son scénariste, Carl Foreman, qui souhaitait le réaliser et y dénoncer les lâchetés et l'esprit de lucre qui régnaient à Hollywood. Il eût le malheur et l'honneur d'être, peu après le tournage, parmi les Dix de Hollywood à être interdit de tournage et expulsé des États-Unis, comme Dalton Trumbo, Joseph Losey, John Garfield ou Charles S. Chaplin.
Anecdotique.
On sait que John Wayne détestait High noon, ce film montrant la lâcheté collective d'une petite communauté américaine encore proche des pionniers. Il détestait en particulier le personnage du shérif Kane qui, abandonné de tous et de Dieu, même de sa dinde d'épouse, admet qu'il connaît la peur. Ne ménageant aucune ambiguïté quant à son attitude devant la commission Mc Carthy, il déclara "C'est la chose la plus anti-américaine que j'ai vue de toute ma vie. Le pire est le vieux Coop piétinant son étoile de shérif. Je n'ai jamais regretté d'avoir aidé à chasser Foreman du pays." (Cité par P. Brion, Le Western, 1996, Liber)
Une autre citation, d'Ernest Hemingway celle-ci, à propos de son ami Gary Cooper : « Coop est un homme bien ; aussi honnête, droit, aimable et intègre qu'il le paraît. Si on inventait un personnage comme Coop, personne n'y croirait. Il est juste trop bien pour être vrai » (lettre à son éditeur Maxwell Perkins).
Afin de ne pas tomber dans le sentimentalisme, un mot de
théâtre :
Deux heures cinquante assis au théâtre avec des personnages ayant pour noms Nathalie Sarraute, Marguerite Duras, Alain et Catherine Robe-Grillet, Robert Pinget, Michel Butor, Claude Ollier, Claude Mauriac, leur éditeur Jérôme Lindon, et même Françoise Sagan. Chiant, n'est-il pas ? Hé bien non, il n'est pas et ce n'est pas la moindre qualité de ce Nouveau roman, écrit et mis en scène par le cinéaste-dramaturge-écrivain Christophe Honoré d'être, outre une pièce intelligente (pédagogique, même), un grand moment de séduction, d'humour et de plaisir. Une élégante potacherie qui ne craint pas de s'interroger sur l'acte d'écrire, son sens, son objet et presque son aventure, dans une folle ambiance de fête de fin d'année au Lycée Papillon (le lycée où s'enseigne la légèreté). Un grand merci à Christophe Honoré pour n'avoir pas construit un mausolée aux Grands Hommes de la Littérature et de ne pas avoir succombé au sérieux, par ailleurs, de son propos. Et quand Sarraute ou Duras chante, on sait que, comme ses personnages, Honoré ne sera jamais Balzac. Et c'est très bien comme ça.
C'était dimanche et c'était, hélas, la dernière représentation parisienne, au très agréable Théâtre de la Colline.
Beckett n'est pas sur scène chez Honoré, mais il habite l'espace intellectuel de la pièce, comme un Commandeur sans statue.
Le hasard a voulu que deux jours avant, à l'Atelier, nous ayons connu le bonheur d'un Premier amour de Samuel Beckett par Sami Frey. Ecrire ces deux noms, celui de l'auteur, celui de l'acteur, c'est dire l'élégance (mot qui m'est venu pour qualifier Nouveau roman) de la soirée.
En début de billet, je promettais de faire court, donc,
à très bientôt, ami(e)s fidèles, promeneurs et dilettantes.