Après Spiegelman, un autre survivant raconte…
Après avoir multiplié les ouvrages sur la Der des Ders, Jacques Tardi se penche pour la première fois sur la Seconde Guerre Mondiale. À l’origine de cette saga, il y a trois cahiers d’écolier datant des années 80, minutieusement remplis par René Tardi à la demande de son fils. C’est sur base de ces souvenirs écrits, ponctués de petits croquis pour mieux visualiser les choses, que l’auteur revient sur les évènements que son père a vécus pendant la Seconde Guerre Mondiale.
Si la première partie de l’album s’attarde brièvement sur le passé militaire de René et sur ses quelques faits d’armes anecdotiques, il se concentre ensuite sur ses cinq années de captivité dans un camp de prisonniers : le Stalag II B, au nord de l’Allemagne en Poméranie. René Tardi y raconte son quotidien en tant que prisonnier de guerre : la faim, le froid, les projets d’évasion, les problèmes de salubrité, les brutalités, les souffrances physiques et psychologiques, les appels quotidiens, la surpopulation, les travaux proches de l’esclavagisme, le marché noir, les maladies,… l’enfer de la guerre et de ses prisonniers.
Je ne suis pas trop fan de l’approche narrative qui consiste à inclure l’auteur dans l’histoire, sous forme d’un enfant en culottes courtes qui accompagne son paternel tout en le questionnant tout au long de son périple. Si ce questionnement dynamise le récit, tout en permettant d’y ajouter quelques touches d’humour, cette présence m’a dérangé tout au long de l’album. D’un autre côté, cette démarche permet à Tardi d’enfin poser les questions qu’il n’a jamais réussi à lui poser de son vivant. Son père a en effet toujours tenté d’enfouir ce passé de prisonnier, qui semble tellement ridicule face aux exploits du grand-père Tardi dans les tranchées de 14-18. Pourquoi parler de ses années de souffrance, alors qu’il vivait comme un roi comparé aux victimes des camps de concentration et qu’il ne faisait qu’attendre sa libération pendant que les résistants menaient le véritable combat ?
Découpant ses planches en trois cases horizontales panoramiques, Tardi plonge le lecteur dans un rôle de spectateur, décrivant avec minuties le supplice enduré par tous ces prisonniers de guerre. C’est Rachel Tardi, la fille de l’auteur, qui se charge de la colorisation, rehaussant le travail de son père d’aplats gris et de quelques touches de couleur (pour les drapeaux par exemple). On peut même parler de saga familiale, car c’est Oscar (le fils), qui s’occupe de la documentation, alors que dans un des camps décrit dans l’album, René Tardi croise un certain Jean Grange, le futur beau-père de son fils Jacques.
Mais, « Moi, René Tardi, prisonnier de guerre au Stalag IIB » n’est pas vraiment une saga familiale, ni une biographie, mais plutôt un témoignage historique bouleversant, restituant avec brio le calvaire vécu par près de 1,8 millions de prisonniers français durant le conflit 40-45. Une survie dans les camps et une relation père/fils que l’on rangera d’ailleurs fort précieusement auprès de l’inégalable « Maus » d’Art Spiegelman.
Vivement la suite !
Un excellent album que vous retrouverez également dans mon Top de l’année, ainsi que dans ma sélection du Festival d’Angoulême 2013.
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