La défense des sans-papiers s'invite à nouveau dans le débat public. Et des plus désagréables des façons qu'il soit. Les services techniques du ministère de l'intérieur ont transmis une note provisoire encadrant le prochain appel d'offre relatif à la « fourniture de prestations d'accueil, information et soutien aux étrangers maintenus en CRA». En d'autres termes, l'aide aux sans-papiers par les associations humanitaires dans 8 zones administratives. Seulement voilà, le texte fait scandale.
Rappelez-vous
Il y a quelques années, en 2008, Brice Hortefeux puis Eric Besson avaient tenté de limiter le rôle des associations humanitaires par le biais le plus simple: création de lots géographiques bien distincts pour remettre en cause la place prépondérante de la CIMADE, puis appel d'offre avec quelques candidatures bidon pour semer la division, définition de conditions d'exercice de leur mission plus difficiles (dont l'interdiction de concertation entre associations).
En novembre 2009, la CIMADE avait aussi publié un bilan détestable des conditions de rétention: 230 enfants détenus en CRA (parmi plus de 50.000 clandestins retenus), et un coût des expulsions qui se chiffrait à 533 millions d'euros (2008)
L'affaire avait duré, au point de se terminer devant un tribunal administratif, au grand dam de l'ancien ministre de l'Identité nationale. Les 8 lots avaient finalement été répartis entre 6 associations, mais le ministère de l'identité nationale leur interdisait de se concerter.
Trois années ont passé, l'alternance politique est là, le sinistre ministère identitaire n'a même pas survécu à Nicolas Sarkozy lui-même. Mais la politique migratoire fait encore débat. La destruction de camps illicites de Roms, rapidement instrumentalisée de toutes parts, a créé la polémique. La clarification des conditions de régularisation des immigrés par Manuel Valls n'a pas séduit les associations humanitaires. L'attente du vote (constitutionnel) du droit de vote des étrangers aux élections locales a suscité des remous. Et quelques cas d'expulsions, plus rares si l'on en croit la fréquence des alertes de RESF mais souvent symboliquement très chargés, continuent de défrayer certaines chroniques. Voici que tombe cet autre sujet, sacrément structurant pour l'accueil, le soutien et la défense des sans-papiers dans ce pays.
Ce qui cloche
Sous la plume de Carine Fouteau, Mediapart en avait publié quelques points dès lundi soir. La CIMADE a publié un communiqué plus complet quelques heures plus tard. Rappelons que le texte transmis est un document provisoire, issu des services techniques du ministère (dixit Mediapart). Un texte qui est négociable, et sur lequel, d'ailleurs, Mediapart promet « un nouveau bras de fer entre l’État et les associations concernées ». Une version synthétique des différents thèmes de l'appel d'offre est librement accessible. Voici ce qui heurte, à juste titre.
1. Les moyens financiers alloués à cette mission de soutien seraient peut-être en baisse, de 20% évoque France Terre d'Asile citée par Mediapart. Mais l'évaluation définitive reste à faire, conviennent les associations interrogées. La charge de certaines prestations demandées serait augmentée. Et le ministère ne prévoit aucune baisse du nombre de personnes enfermées dans les centres de rétention en 2013, regrette la CIMADE. Mediapart mentionne aussi que les horaires de présence, « variant d’un CRA à l’autre en fonction du nombre de “retenus” sont par exemple élargis.»
2. Le durcissement des conditions d'exercice du soutien aux sans-papiers est dénoncé par les associations. Dans un communiqué publié mardi 11 décembre, la CIMADE dénonce les contraintes suivantes: (1) « prévenir les chefs des centres de rétention, dès qu’une des personnes enfermées qu’elles accompagnent, osera déposer un recours », (2) « les personnes étrangères enfermées ne pourront plus s’entretenir avec les associations accompagnées d’un co-retenu de leur choix, ce qu’elles souhaitent pourtant très fréquemment ».
3. La critique porte enfin sur un détail qui a son importance, au moins symbolique, une nouvelle disposition sur un devoir de discrétion sous peine de pénalité: « Une pénalité de 500 euros sera appliquée pour chaque manquement aux obligations contractuelles », telles que « le non-respect du principe de réserve et de l’obligation de discrétion ». La CIMADE évoque, sans les nommer, « de nombreuses autres conditions que devront remplir les associations, sous peine d’être sanctionnées ».
Notons enfin que ce texte fait visiblement hurler les intéressés (la CIMADE réclame son retrait) mais il n'est pas communiqué, pas même par Mediapart.
Pour être complet, il faudrait ajouter deux éléments, tout autant déterminants.
Primo, Manuel Valls a décidé de supprimer l'aide au retour, ce pécule subventionné pour inciter les clandestins à retourner chez eux. Une aberration financière qui donnait bonne conscience à l'ancienne Sarkofrance. Secundo, le ministre a annoncé quelques mesures d'urgence pour soulager/améliorer les conditions de rétention (indignes) à Mayotte. Derrière les cas dénoncés par RESF en France se cache un autre scandale depuis des lustres: une belle fraction des expulsions annuelles de sans-papiers se réalisent entre deux îles à des milliers de kilomètres de la métropole: Mayotte (françaises) et les Comores. Déjà sous Sarkozy nous dénoncions l'imposture des statistiques de l'ancien régime, entre 15 et 17.000 expulsions annuelles se logeaient à Mayotte, (et près de 22.000 clandestins retenus), une situation excessivement locale qui n'avait pas grand chose à voir avec le mythe de l'invasion de clandestins dans nos campagnes de métropoles véhiculées par quelques sbires de l'extrême droite copéiste.
Rappelez-vous.