Affirmer qu’il s’agit d’une stratégie ambitieuse reste trčs en-dessous de la réalité : au pas de course, la Chine installe une maničre de faire sans précédent. En partant de rien, elle construit une concentration verticale dans la construction aéronautique civile : court-courrier ARJ 21, concurrent des 737 MAX et A320 NEO, C919, projet de gros porteur long-courrier, moteur CJ-1000A visant ŕ concurrencer les CFMI Leap et Pratt & Whitney PW1500G. Et, comme si cela ne suffisait pas pour ébranler le secteur, un groupe d’investisseurs met ŕ présent la main sur ILFC, International Lease Finance Corporation. Un coup de théâtre.
Bien sűr, les nouveaux actionnaires d’ILFC ne pourront pas automatiquement favoriser le C919, par exemple, seules les compagnies clientes étant décisionnaires. Sauf ŕ consentir des tarifs de location trčs compétitifs, avec une aide locale. Ces nouveaux propriétaires sont, du point de vue des observateurs occidentaux, des noms nouveaux : New China Trust Co., apparemment chef de file, China Aviation Industrial Fund, P3 Investments. Ils se substituent au groupe d’assurances américain AIG (American International Group), trčs lourdement endetté, en grandes difficultés et pressé de céder ses activités périphériques pour se refaire une santé.
L’accord qui vient d’ętre signé prévoit le maintien de l’équipe dirigeante actuelle, conduite par Henri Courpron, un ancien d’Airbus. Il y a deux ans, ce dernier avait succédé au charismatique fondateur d’ILFC, Steven F. Udvar Hazy. Lequel, en une trentaine d’années, avait acquis une importance d’autant plus considérable que son portefeuille comptait un millier d’avions. Il a cédé ILFC ŕ AIG avant les problčmes qui ont secoué la plančte Finance puis, jeune retraité peu enclin a tailler ses rosiers, il a créé Air Lease, devenu en peu de temps un intervenant important.
Jusqu’ŕ présent, Udvar Hazy n’a pas commenté la délocalisation d’ILFC. Sans doute est-il, lui aussi, surpris par cette transaction et heureux de constater, a posteriori, que 80% de la société qu’il a créée sont valorisés ŕ 4,2 milliards de dollars, alors qu’elle compte ŕ peine plus de 500 personnes. Les 200 compagnies clientes d’ILFC sont réparties dans 80 pays et utilisent la quasi-totalité des types d’appareils disponibles. Mais, ŕ ce jour, elle n’a passé aucune commande de C919, contrairement ŕ Gecas, son principal concurrent, propriété de General Electric.
La formule de la location-bail a incontestablement tout l’avenir devant elle. Elle permet aux compagnies, grandes et petites, de diminuer leurs investissements et de préserver un minimum de souplesse dans la gestion de leur flotte. D’oů un panachage entre achats et locations, un dosage délicat. Par ailleurs, cette formule facilite la mise en place de compagnies quasiment virtuelles : avions loués, services externalisés, voire pilotes fournis par des entreprises spécialisées.
Reste le fait que le choix chinois de racheter ILFC est étonnant. A moins qu’il ne repose sur une fausse bonne idée, une intention cachée d’orienter les compagnies clientes vers des productions nationales, aux dépens de Boeing et Airbus. Un dirigisme latent, qui n’est évidemment pas de mise sur le marché mondial des avions de ligne.
Pierre Sparaco - AeroMorning