"Cité 14 : Saison 1" de P. Gabus et R. Reutimann

Je recevais en cadeau il y a quelques semaines le premier tome de Cité 14, BD aux dehors fort charmants : trait rapide mais plaisant, univers fouillé et pistes narratives protéiformes. Au delà d'un bon moment de lecture en perspective, ce petit opus d’une centaine de page m’est apparu, empêtré que j'étais dans la lecture de La Fée aux miettes, comme l'occasion d'une critique salvatrice promettant de me permettre de maintenir mon rythme si malmené ces derniers temps d'une chronique hebdomadaire. Pourtant, je devais rapidement déchanter. Car arrivé à la fin du premier tome, une évidence s’imposait : trop de pistes ouvertes, et trop peu refermées pour critiquer ce fascicule lu isolement. Qu'à cela ne tienne, le tome 2 résoudrait mon problème... Douces illusions.Trois tomes plus tard et la première « saison » de Cité 14 achevée, je me mets seulement aujourd'hui au clavier. Explications.
L'avis d'Emmanuel
Dick Tracy, Blacksad et Blade runnerLes amateurs d'univers foisonnants ne peuvent qu'apprécier les premières planches de Cité 14 : une cité franche au milieu du désert, peuplée d'animaux anthropomorphes et d'extraterrestres, mi retro mi actuelle (entre-deux-guerres-punk?), rongée par une myriade de mafias et de malfrats, mais heureusement (heureusement?) gardée par ses glorieux super-héros. Tout un programme que le lecteur est invité à découvrir en suivant les aventures de Michel Elizondo, éléphant un peu dandy récemment émigré d'on ne sait trop où et d’Hector Mac Keagh, castor reporter au Telegraph, assisté de son mystérieux acolyte, le commandant Bigoodee. Rapidement les péripéties s'enchaînent : entrée en ville un peu mouvementée de Michel, sauvetage de Mac Keagh en mauvaise posture durant un reportage sur le gang des coupeurs de têtes -qui mettra à partir de ce moment celle du rongeur à prix-, découverte de la tour Bambell, une sorte de gratte-ciel-univers (monade ou archologie en fonction de vos références) en décrépitude, rencontre avec Tigerman... Les rebondissements ne manquent pas.
LabyrinthiqueChaque tome est divisé en trois épisodes d'une trentaine de pages, dont l'organisation chronologique est logique, mais ne revêt dans la majorité des cas pas une importance majeure. S'ouvrent ainsi bientôt toute une myriade d'intrigues « secondaires » (en fait je ne crois pas qu'il y ait d'intrigue principale), parmi lesquelles j'ai souvent fini par me perdre, alors que j'ai lu les quatre tomes sur un intervalle de deux semaines. Ce qui me laisse perplexe quand aux possibilités de suivre la série au fil de ses parutions (mensuelles), mais surtout me fait émettre quelques réserves sur la pertinence des choix scénaristiques opérés par les auteurs. J'en suis ainsi venu, au tome trois ou quatre à gober les rebondissements les plus éblouissants avec une indifférence inquiétante, qu'il se soit agit de l'omnipotence bienveillante de Tuxolpzzp Neephro (le voisin E.T. de Michel), des mauvaises fréquentations de Tigerman le justicier masqué de la cité 14 ou encore des super-pouvoirs de Bigoodee. La conclusion de cette première saison, qui ne referme à mon avis qu'un petit tiers des intrigues (principalement la fin des difficultés avec le gang des coupeurs de tête de Bollart le cerf, l'issue de la captivité de l'agent Teulman qui avait été fait prisonnier en lieu et place du sénateur Olafson dans une mise en scène destinée à renforcer l'image de Tigerman et la vérité révélée sur la passé de Michel) apparaissant de fait un peu faiblarde en comparaison du foisonnement de pistes ouvertes dans les pages qui la précèdent (sans compter le fait qu'elle possède son propre cliffhanger auquel ne manque que la mention « A suivre... »).
Expérience éditorialeOr ce qu’il y a finalement de plus étonnant, et peut-être de plus intéressant à discuter dans Cité 14, c’est son aventure éditoriale. La publication des premiers opus de la série s’est en effet faite selon un format peu usité, pour ne pas dire inédit en France : celui de petits fascicules mensuels de trente pages environ, racontant chacun un « épisode » autonome de la série (forcément d’une profondeur en rapport avec sa longueur) et vendus au prix ridicule de 1€. On eut pu croire alors que le manga / comics de consommation à la Française été né. Malheureusement, soit que le bousculement des habitudes des lecteurs ait été trop violent, soit que le modèle ne se soit pas avéré rentable, l’expérience, initiée par les éditions Paquet, s’est rapidement arrêtée (au terme de la saison 1, soit après douze mois de publications). Les fans auront alors du attendre trois ans pour voir cette première saison rééditée, aux Humanoïdes associés cette fois, et une nouvelle débuter (saison qui s’est achevée en ce mois de juin 2012). Seulement au passage, le format s’est vu dramatiquement modifié : finis les livrets low-quality à 1€ et bonjour les fascicules de 100 pages sur papier glacé à 12,5€.Le problème c’est que ce reformatage qui eût pu passer inaperçu, se sent douloureusement à la lecture de la saison 1 : les « tomes » réunis manquent franchement de cohérence interne, la ligne narrative est trop éclatée et le plaisir de lecture n’apparait finalement pas à la hauteur de l’investissement financier. Le potentiel est toutefois là, et on ne peut qu’espérer que les auteurs auront su adapter leur série au format imposé par son nouvel éditeur.
A lire ou pas ?Mon avis était assez tranché et sévère en refermant le quatrième tome de la saison 1 de Cité 14. Histoire flottante, intrigues peu accrocheuses, rapport plaisir/prix global très moyen, ce serait un non. Pourtant, je me suis aperçu au fil de la rédaction de ce billet que je prenais plaisir à me remémorer l’univers et l’ambiance de cette première saison (beaucoup plus que les péripéties). De plus, mes réserves m’apparaissent finalement liées pour majeure partie au rafistolage éditorial subi par la série au moment de sa réédition. Pour donner une conclusion dans l’air du temps, je resterai donc mesuré et rendrai un avis légèrement favorable sur ce premier volet de Cité 14, avec perspective défavorable, à reconsidérer après avoir lu la saison 2.
Pour prolonger cette chronique, n'hésitez pas à vous rendre sur le blog de la série ou à aller lire cette intéressante interview sur sa genèse et son évolution.
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