On m’a prêté un livre. L’évènement est suffisamment rare pour être mentionné. Nous sommes maintenant de vieilles connaissances, vous savez donc sans doute que je n’emprunte presque jamais, j’achète mécaniquement. Certains ont leurs têtes de cerf empaillés, d’autres leurs photos en jet-ski, moi j’ai ma bibliothèque. Ma petite Sagrada-familia, édifice mouvant où les volumes se font régulièrement de la place au gré des nouveaux arrivants. Pas de structure ou de classement, les plus vieux maintenant l’équilibre de tous. Bon, je n’aime pas beaucoup les grands formats. Vous le savez aussi, mais faisons semblant de ne pas nous connaitre. Et puis c’est un western, c’est écrit sur le quatrième de couverture, « Si vous ne devez lire qu'un seul western dans votre vie, lisez celui-ci ». Le genre aurait-il si peu la côte ? Et si je n’ai pas prévu de lire de western dans ma vie ? Ce dont j’ai envie c’est de lire un bon bouquin, qu’importe finalement le genre ou la coiffure du personnage principal, "Lonesome Dove" peut il relever le défi ? A midi devant le saloon ?
L'avis de JB :
C'est dans les meilleurs encriers...Ne laissez pas son package vous tromper. « Lonesome Dove » est paru en 1985, et a été « Pulitzarisé » l’année suivante. Suivront des adaptations télévisées à succès et même l’Oscar du « meilleur scénario adapté » en 2006 pour « Brokeback Moutain » pour l’auteur, Larry McMurtry.Bienvenue à Lonesome Dove. L’expression est sans doute un peu forte, le comité d’accueil étant inexistant. Nous sommes en 1880 au Texas, à quelques pas de la frontière avec le Mexique. Les nombreuses guerres avec les Indiens sont terminées et les soldats ont rangé leurs insignes. Augustus McCrae et Woodrow Call sont de ceux-là. Ils dirigent une modeste entreprise de vente de bétail et de chevaux à la sortie de la ville. Autour d’une petite troupe d’employés, les journées se succèdent sous une chaleur écrasante. Un informe gruau de biscuit pour débuter la journée, le son de la cloche de Bolivar leur cuisinier mexicain pour l’eternel ragoût de chèvre pour la terminer. Bien sûr il y a les cartes, ou chacun joue sa solde de plusieurs mois autour du feu. Et l’unique saloon de la ville, dont le seul intérêt est sans doute la beauté de sa seule putain, Lorena." Lorsque Augustus sortit sous le porche, les cochons bleus étaient en train de manger un serpent à sonnette - un spécimen de taille modeste. le serpent devait ramper à la recherche d'un peu d'ombre quand il était tombé sur les cochons. Ils se le disputaient âprement et il était clair que le crotale ne sonnerait plus jamais. La truie le tenait par le cou et le verrat par la queue."La paisible vie de petite communauté va bientôt être bouleversée par l’arrivée d’une vieille connaissance, Jake Spoon. Recherché pour meurtre, l’ancien ranger va bientôt les jeter sur les routes à la conquête d’un nouvel eldorado, le Montana. Dans leur sillage, tout ce que la ville compte de candidats au départ va bientôt rejoindre le convoi…Vous l’aurez compris, la recette est simple. Ne vous attendez pas à des rebondissements toutes les trois pages, une narration à la première personne du pluriel ou un récit qui commence par le milieu. Il s’agit plutôt d’une balade, d’une lente plongée dans la vie de deux rangers tannés par la vie et le soleil texan qui décident, sur un quasi coup de tête, de repartir à l’aventure. Faire simple, c’est paradoxalement se mettre en danger. Quand on décide de ne pas « cacher » voire plus sagement « d’enrober » l’ouvrage dans un joli paquet, il faut avoir la capacité littéraire de soutenir son récit et son ouvrage. En cuisine on parlerait sans doute de « qualité » ou de « pureté » du produit, de ce plat devenu un classique qui parait pourtant si simple à exécuter. J’apprécie cette démarche, cette recherche d’un certain dénuement pour ne servir au lecteur qu’un livre dont la qualité principale est l’exécution. Faut-il être capable de le faire par choix, et cela tombe plutôt bien puisque Larry McMurtry a un certain talent.
"Votre meilleur whisky !"On entre de plein pied dans la vie de ces cowboys aux bronzages inégaux, où ambition et espoir ne sont plus que des mirages. Inlassablement ils recassent leurs prouesses et leurs amours perdues autour du feu, pourvu que le whisky et les cartes soient de la partie. C’est à peine si les pages ne sentent pas la sueur et l’alcool frelaté, tant on se sent happé par la main du narrateur. Le rythme est lent, inexorable, pudique. Même le temps semble ralenti à Lonesome Dove, on ne rentre pas brutalement dans la vie de vieux cowboys. On regarde, on scrute, on s’imprègne, on comprend. Et puis finalement on prend la route avec eux, fermant la marche sans doute. Un mince foulard pour se protéger de la poussière soulevée par les bêtes, un cheval à qui l’on fait confiance, et quelques tours pour tricher aux cartes. Préparez-vous à tomber amoureux de Lorena, ils le sont tous. Après tout, elle était la seule prostituée de la ville. Mais on lui a promis qu’elle irait à San-Francisco, raison suffisante pour laisser cette petite chambre crasseuse, que la vieillesse ou la mort seules la feront quitter. Deets, Newt, Pea eye, personne n’est là par hasard. Retrouver son père, conquérir la femme que l’on aime, goût de la liberté, les raisons sont nombreuses pour suivre Augustus et Call sur un voyage de plusieurs milliers de kilomètres. Bientôt certains meurent, se perdent ou se blessent. Le Montana, que Jack dit merveilleux, se mérite. La longue procession ne s’arrêtera pas, condamnée à avancer ou se briser, les voiles gonflées par ces problèmes que chacun semble vouloir éviter.« Rien de tout cela n'était sensé, et il était pourtant bien obligé d'admettre qu'il avait un certain penchant pour ce genre de folie. Vivre de façon raisonnable -expérience qu'il avait tentée à une ou deux reprises dans sa vie- s'était avéré ennuyeux, le plus souvent après quelques jours seulement. Une vie sensée ne lui avait jamais rien apporté qui vaille, à part des beuveries et des parties de cartes où il jouait jusqu'à sa dernière chemise. La folie était parfois plus stimulante.”L’auteur a effectué un vrai travail dans la construction de ses personnages. Il ne s’est pas contenté de mettre en scène des idées, il leur a donné une épaisseur. Des deux personnages principaux à la petite constellation de personnages secondaires, personne n’a été bâclé, sous estimé ou dépeint à la va vite. Un sens du détail que l’on retrouve dans le délicat équilibre trouvé entre cowboys aux dents réfléchissantes et jean parfaitement repassé et vieil ivrogne édenté incapable de chevaucher sa monture. Plus qu’un archétype, l’auteur a construit une base, dont il s’est servi pour construire son ambiance et le squelette de ses personnages. Ensuite il a donné vie à ses protagonistes en les rendant différents, complexes et terriblement humain. Pour exemple, la relation entre Augustus le beau parleur et Call le travailleur silencieux, amis depuis de longues années qui semblent avoir trouvé ce délicat équilibre entre admiration mutuelle, confort et vécu. Un peu à la manière de Georges et Lennie, dans « Des souris et des hommes » de Steinbeck.« Lonesome dove » est une épopée, une locomotive qui met un peu de temps à démarrer, mais que l’on excuse volontiers à cause de la beauté du voyage. Il y a de l’honnêteté et de la passion dans ces pages, du terroir presque. Prenez de grandes inspirations, buvez de grandes gorgées, l’ouvrage est fait pour être consommé en continu, comme une fresque qu’on ne voudrait pas perdre des yeux.
A lire ou pas ?Que vous ayez une envie pressante de lire un western ou pas, tentez l’aventure. Certes le rythme est un peu lent, et l’ensemble peut faire peur (deux tomes de 600 pages), mais si vous prenez le temps de découvrir la vie d’Augustus, Call et de leur petite troupe, vous ne serez pas déçu. Et puis la publicité n’est finalement pas mensongère, c’est sans doute le meilleur western que j’aie lu.
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