L’avis de JB :
Genèse d'un cycle
Publié en 1992, « B.P.9 » est le premier ouvrage de Jack O’connel. Celui par qui la « saga Quinsigamond » a commencé. En l’absence de biographie et de bibliographie claire sur la toile, j’ai donc magistralement lu le cycle dans le désordre. Tant pis pour moi et tant mieux pour vous.
Agent des stups, Leonore arpente jour et nuit les rues malfamées du quartier de bangok-park. Postier et quasi-autiste, Ike aime la tranquillité du bureau de tri ou des tournées en plein air. Ils sont pourtant jumeaux et habite ensemble un modeste appartement au centre-ville. Deux scientifiques de renom sont bientôt retrouvés mort, et une nouvelle drogue à l’effet dévastateur menace de déferler dans les veines des toxicomanes. Tous les services sont mobilisés, sous la coupe aguerrie du maire, qui souhaite éviter un bain de sang dans une ville déjà ravagée. Qui se cache derrière cette découverte ? Cette nouvelle famille de la pègre dirigée par l’énigmatique paraclet ? Cortez, nouveau maitre de la distribution de la drogue dans Bangok-park ? Leonore a un pressentiment, quelqu’un les manipule, et elle compte bien découvrir le marionnettiste qui tire les ficelles. Seulement nous sommes à Quinsigamond, rien n’est noir ou blanc, le cœur de la ville est aussi gris que le béton de ses rues…
La base de la recette que j’avais tant appréciée dans mes précédentes critiques marche à plein régime. L’apparition d’une mystérieuse drogue dans les rues de la ville qui sera notre intrigue en fil rouge impliquant plusieurs personnages de manière plus au moins directe. L’alternance de deux ou trois points de vue et histoires qui finiront évidemment par se recouper, ou encore le choix de l’auteur de ne pas se tenir au code d’un seul genre littéraire, parsemant son ouvrage d’une touche fantastique aux accents Borges-ien.
Le langage tient, là encore, une part importante. La voix à travers la radio dans « Ondes de choc », le livre dans « Et le verbe », le cinéma et la photographie dans « Porno palace », et finalement la parole mutilée par les effets de la drogue « Q » dans « B.P.9 ». On sent que l’auteur explore des pistes dans ce dernier (scène dans le théâtre notamment), qui se transformeront en véritables éléments du récit dans ses ouvrages suivants.
O’connell aime ses personnages névrotiques et tourmentés. Leonore la flic toxicomane, Ike le postier solitaire et mal-aimé, Cortez le parrain de la pègre en pleine crise existentielle, ou Eva la jeune manager psychotique n’y font pas exception. Comme « le censeur » du « Et le verbe.. » ou l’ancien agent du FBI de « Ondes de choc », le paraclet de « B .P.9 » est le seul qui ne doute pas. Parangon de froideur et de déterminisme, ils sont le bras armés du destin, ilots de rigueur dans l’univers déjanté de Quinsigamond.
Quelques regrets...
L’ambiance est bien là, le style reconnaissable, l’intrigue et les personnages tiennent la route mais il me manque quelque chose. Sans doute ce brin de chaos qui emballe par exemple le récit d’un « Et le verbe… », Cette touche d’incontrôlable qui dérègle une intrigue et force la lecteur à rentrer tout à entier dans le roman. « B.P.9 » est une folie contrôlée qui manque parfois un peu d’audace. O’Connel se fait moins conteur et plus romancier, ce qui rend l’ouvrage un brin plus conventionnel, plus proche d’un roman policier peut être.
Deux scènes restent pour moi mystérieuses. Tout d’abord lorsque Leonore décide sur un coup de tête d’administrer, à son frère et à elle-même, une portion de la drogue « Q ». Pourquoi mettre la vie de son jumeau en danger ? Tentative de suicide sous l’effet du « speed » ? Ensuite le dernier dialogue entre Eva et le « paraclet ». Envie d’une mini scène de sexe ? De pourvoir le méchant d’une phrase définitive triomphante ?
N’oublions pas que « B.P.9 » fut la première production de Jack O’connell, alors agent d’assurances. Certainement pas une excuse mais une bonne manière de comprendre la progression littéraire qui a pu être la sienne dans la suite de son cycle. Même si James Ellroy, lui, a semblé tout de suite emballé :
« Beaucoup d'écrivains essaient d'exprimer l'horreur de la décrépitude urbaine. La plupart échouent. Implacable dans sa détermination à choquer le cœur et l'esprit, B.P. 9 parvient "à sonner" l'un et l'autre. »
A lire ou pas ?
Suite à un délicieux oubli informatique de ma part, j’ai dû entièrement retaper cette critique. Et à la relecture, je me rends compte qu’il manque un peu de cette fraicheur qu’amène l’écriture quasi-automatique que j’emploie normalement. J’espère néanmoins que l’essentiel sera là, découvrir Jack O’connell, si cela n’est pas déjà fait. Un cran en dessous de ses descendants « Et le verbe… » Et d’« Ondes de choc », « BP9 » reste malgré tout un bon divertissement que les amoureux du roman noir ne renieront pas. Etant actuellement en train de terminer « Porno palace », second volet de la saga, seul le dernier en date « Dans les limbes » manque encore à mon tableau de chasse.
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