Les vacances s’achèvent, enfin pour moi. Il faudra désormais supporter la chaleur ambiante dans une tenue plus professionnelle. Faire le deuil d’heures de lecture quotidiennes. Retrouver du temps pour lire dans les interstices d’un quotidien qui fait forcement la part belle au travail. Et commencer par vous présenter les quelques ouvrages qui m’ont accompagnés pendant ces deux semaines hors du tumulte parisien. Quitter la capitale, c’est admettre que diner à une terrasse à moitié vide, trouver une place pour se garer ou payer un expresso moins de 2 euros n’est pas une utopie. C’est aussi comprendre que les dimanches et jours fériés, trouver un point de vente littéraire est une épreuve. Une quête qui peut mener parfois dans des lieux surprenants, qui proposent « Mangez-le si vous voulez » en tête de gondole. Un choix courageux, pour une bataille perdue d’avance contre les mastodontes du « livre d’été ». La saison estivale est apparemment propice à créer ses propres rejetons. On vit et on consomme différemment en juillet/août, on mange « été », on dance « tube de l’été » et donc on lit « livre d’été ». J’aime à penser que ces livres ne s’adaptent pas à un temps libre et une tranquillité d’esprit retrouvée et que le cruel ratio travail/vacances est la seule cause de cette dénomination. Pour ceux d’entre vous encore en vacances, pas de panique, le bdb ne prend, lui, pas de congés pour ses lecteurs.
L’avis de JB
Une tragédie inexplicable
Longtemps auteur de bandes dessinées (entre autres pour « l’écho des savanes »), Jean Teulé se lance dans l’écriture sur le tard. Multi récompensés (Grand Prix Palatine du roman historique notamment), pour « Le Montespan », publié en 2008, il publie l’année suivante un court ouvrage tiré d’un fait historique réel, « Mangez-le si vous voulez ».
Nous sommes en 1870, à Hautefaye, petit village périgourdin de quelques centaines d’âmes. En ce mois d’août ravagé par la sécheresse, Alain de Monéys, jeune conseillé municipal de 28 ans, décide de se rendre à la foire, histoire de régler quelques affaires en suspens. Connu et respecté de tous, il compte notamment proposer un ambitieux projet d’irrigation, censé régler les problèmes d’approvisionnement en eau de la bourgade. Le temps lui est d’autant plus compté qu’il a décidé de s’engager, par patriotisme, dans le conflit qui oppose la France à la Prusse. Très vite la situation s’envenime lorsqu’il tente de prendre la défense de son cousin, Camille de Maillard, qui aurait proféré plusieurs paroles anti-patriotiques avant de s’éclipser :
« - et bien mes amis, que se passe-t-il ?...
- C'est votre cousin, explique un colporteur. Il a crié : "Vive la Prusse !"
- Quoi ? Mais non ! Allons donc, j'étais auprès et ce n'est pas du tout ce que j'ai entendu. Et puis je connais assez de Maillard pour être bien sûr qu'il est impossible qu'un tel cri sorte de sa bouche : "Vive la Prusse"... Pourquoi pas "A bas la France !" ?
- Qu'est-ce que vous venez de dire, vous ?
- Quoi ?
- Vous avez dit "A bas la France"...
-Hen ? Mais non !
-...
Le colporteur demande aux gens près du muret :
- Que ceux qui l'ont entendu crier "A bas la France" lèvent la main ! »
Deux heures après son arrivée, celui dont tout le monde louait la générosité et la gentillesse, sera torturé par la foule, brûlé vif, ferré comme un animal et finalement mangé…
Depuis un mois, la France est en guerre contre la Prusse. La débâcle que nous connaissons est en marche mais le gouvernement de l’époque décide de museler l’information, de peur de déclencher une panique générale. Le peuple voit des espions prussiens à chaque coin de rues et quelques incidents isolés éclate : « à Châtellerault, un employé des chemins de fer est molesté pour être soupçonné d'être un espion à la solde de l’ennemi. » (Alain Corbin, « Le Village des Cannibales »). Depuis déjà plusieurs semaines, la sécheresse dévaste les récoltes, contraignant les campagnes touchées à un douloureux rationnement : "Cette sécheresse ! On va bientôt sucer les pierres", "J'ai la gorge aussi sèche qu'une mèche d'amadou. J'ai peur, en crachant, de foutre le feu !" dira un villageois. Devant tant de malheurs, un bouc-émissaire doit être trouvé. Une personne, quelle qu’elle soit, doit payer pour les fils morts au front, les plants qui brulent et l’eau qui manque.
Du fait historique au roman
Je le citais plus haut, Alain Corbin a publié en 1995 « Le Village des Cannibales », monographie historique sur cette tragédie, dont l’article Wikipédia sur « l’affaire de Hautefaye » est grandement garni. Jean Teulé, quant à lui, a décidé d’en faire un court roman, légèrement arrangé sans doute, mais plutôt bien documenté. Chronologiquement, et à travers une vingtaine de courts chapitres, Jean Teulé tente de mettre des mots sur l’incompréhensible calvaire d’Alain de Monéys. Un chemin de croix au cours duquel aucun supplice ne lui sera épargné, jusqu’au bûcher final :
« Le premier magistrat de la commune s'avance d'un pas vers de Monéys et s'adresse à ceux qui le tirent par les chevilles :
- Ôtez cet homme de là. Il gêne la circulation. Emmenez-le plus loin.
Anthony, effondré, soupire. Buisson et Mazière demandent à Bernard Mathieu :
- Pour en faire quoi, plus loin?...
- Ce que vous voudrez! répond le maire totalement dépassé par les événements. Mangez-le si vous voulez.”
Chercher une explication rationnelle derrière l’acte est impossible. Bien sûr et nous l’avons vu, certains éléments comme la sécheresse, la guerre et la misère au quotidien ont joué un rôle important. Evidemment, l’effet de masse, le charisme et la détermination d’un petit groupe de leaders ont entrainé la foule, chacun trouvant un malheur ou une raison d’accabler la victime. La situation aurait donc pu dégénérer, et le jeune homme chassé de la ville sous quelques insultes et légumes pourris. Mais de là à torturer et dévorer un conseiller municipal que tout le monde semblait connaitre et apprécier ?
L’auteur a cherché avant tout à partager et faire discuter sur un fait historique, bien que sa transposition romanesque soit plutôt réussie. Comme bien souvent dans les ouvrages de Jean Teulé, la documentation est précise et l’ambiance est au rendez-vous. Son style, très cru, fluide et imagé, s’adapte parfaitement à la description des violentes scènes de tortures et aux échanges verbaux particulièrement fleuris des bourreaux. On retrouve également ce ton parfois ironique, figure quasi-signature de l’auteur, qui fonctionne plutôt bien : « Vous vous êtes privé d'un fameux rôti ! Il avait du gras comme trois truies, le prussien. Il nous aurait bien fait la semaine ! »
Evidemment, l’ouvrage n’est pas à mettre entre toutes les mains. Les scènes de torture sont d’une rare violence et l’agonie du personnage particulièrement réaliste. L’entêtement de la foule à ne pas reconnaitre la victime, l’escalade fulgurante des supplices et l’incompréhension continue d’Alain de Monéys en font un livre choc.
Jean Teulé le rappel dans l’interview ci-dessous, les similarités avec la passion du christ sont nombreuses : Age quasi-similaire ( De Monéys aurait 32 ans selon Wikipédia), graduations des châtiments, incompréhension devant l’exemplarité du condamné et même final repentant ponctué d’apparition maternelle « Face à l'homme-ratier, au bord de la gerbe en les entendant donner des détails culinaires, les cannibales s'esclaffent :
- Oh, fais pas ton sucré, toi ! Tu manges bien du rat et du vieux en plus !
- Mais... c'était Monsieur de Monéys.
- Hein ?... »
http://www.youtube.com/watch?v=KVr0-686UIU&feature=player_embedded#
L’avis de JB :
« Mangez-le si vous voulez » est un court roman où l’on écoute plus qu’on ne comprend. Le fait historique est si unique qu’il remplit à lui seul le roman. L’intelligence de Jean Teulé a été de le mettre sobrement en scène. Certainement pas une grande œuvre littéraire mais à coup sûr un habile travail historique, suffisamment bien romancé pour conserver mon attention.
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