Pendant qu’il est payé quinze centimes du mot à traduire une notice explicative pour un instrument révolutionnaire anti-comédons sur le point d’être commercialisé sur le marché ouzbek, il rêve d’institutions européennes et de conférences internationales. C’est un gymnaste de la langue, un interprète de la pensée, un virtuose de la grammaire, un crack des spécificités culturelles ; Valentin le Désossé, Vasco de Gama et Grévisse réunis.
Les auteurs l’accusent de trahir leur prose, les lecteurs lui attribuent les sous-titrages hasardeux, les néophytes se figurent un dictionnaire ambulant capable de donner du tac au tac la traduction d’hurluberlu en danois.
Non, les traducteurs ne font pas des langues. Non, les traducteurs ne cliquent pas sur Google Trad. Non, les traducteurs ne sont pas des robots. Ils ajoutent à la maîtrise des langues une solide connaissance du monde.
Les traducteurs changent le monde. Ils débloquent des situations politiques en rejetant, en juillet 1945, l’ultimatum des Alliés au premier ministre japonais, ils renforcent l’euro en se réjouissant de la parity between the Euro and the American Dollar, ils font évoluer la religion en traduisant Dieu défend l’adultère par God defends adultery.