Vous le savez, nous le savons tous : manger trop gras, trop salé, trop sucré, ne pas bouger, ne pas s'hydrater quand il fait chaud, ne pas se couvrir quand il fait froid et ne pas voter bien comme il faut quand on nous le demande peuvent provoquer des kikis tout petits et des maladies graves. C'est absolument certain, comme la mort et les taxes, du reste. Et pour nous aider dans notre lutte quotidienne contre les produits que nous aimons, l’État a récemment posé toute une série de gestes forts qui, avec l'habituel empressement chaleureux des cuistres interventionnistes, conduiront à distribuer une bonne louche de malheur supplémentaire sur une humanité qui n'en demandait pas tant.
Bien évidemment, les arguments avancés ne sont pas ceux d'un manque cruel de fonds pour l’État, ni l'honnête aveu que le lobbyisme de Greenpeace ou d'autres a atteint son but. On s'est contenté de l'habituelle prétexte de la bonne santé de nos concitoyens sur le mode "J'ai froid, couvre-toi" inhérent au fonctionnement de l’État-maman : l'huile de palme a été décrétée mauvaise pour la santé, et donc taxable à merci, et pas qu'un peu, méchante huile ! puisqu'on va en multiplier ainsi la taxe par trois, et pan dans les dents.
En substance, le principe est donc de faire durement payer le consommateur qui ose porter atteinte à sa santé qui, depuis qu'elle a été collectivisée, ne lui appartient plus. Notez qu'à présent, à l'exception de Contrepoints, qui est revenu plusieurs fois sur le sujet, on ne lit pas beaucoup d'analyse dans la presse sur la dangerosité réelle ou supposée de l'huile de palme. Or, le sujet de l'impact des graisses alimentaires sur notre santé est loin d'être tranché, simple et, pour tout dire, à la portée d'un groupe de sénateurs.
Pour résumer, le corps humain a de toutes façons besoin d'acides gras, et principalement d'acides gras saturés. Ces derniers sont soit trouvés dans la nourriture, soit produits à partir d'acides gras insaturés, que le corps humain saturera par biochimie interne. À mesure que les études sérieuses (mais malheureusement peu relayées dans les médias mainstream) avancent, on découvre que ce sont essentiellement les acides gras "trans" insaturés et hydrogénés industriellement qui sont dangereux pour la santé (là encore, je simplifie volontairement).
Pour en revenir à l'huile de palme, elle est utilisée dans sa forme "non industriellement hydrogénée" ; dans ce dernier cas, elle n'est pas plus dangereuse que d'autres huiles. Comme le précise Cécile Philippe dans son article, on oublie de préciser qu’elle ne contient ainsi aucun acides gras "trans", qui apparaissent par l'hydrogénation industrielle, pas nécessaire dans le cas de cette huile naturellement solide à température ambiante.
Évidemment, si l'erreur est humaine, pour une vraie catastrophe sanitaire, il faut faire intervenir des lobbies et des politiciens.
On découvre ensuite que l'autre argument utilisé pour punir les consommateurs de faire attention à leur porte-monnaie est un argument écologiste, parce que ça marche bien auprès de la ménagère soigneusement conscientisée à coup de campagnes verdoyantes ces trente dernières années. En substance, le sénateur écodurable remarque que les plantations de palmiers à huile prennent une place considérable, et empiètent sur de la forêt vierge, ou primaire, et que c'est, forcément, très mal. Chacun sait, en effet, que chaque mètre carré de forêt tropicale détruit, c'est deux millions d'espèces inconnues qui disparaissent (au moins), c'est trois mille cures contre des maladies rares qui disparaissent avant d'avoir été trouvées (au bas mot) et trente koalas mignons qui se vaporisent dans le grand néant probabilistique d'une statistique dégotée on ne sait où. Et quand ce n'est pas ça, ce sont des orangs-outans, des pandas ou des scolopendres.
En réalité, peu importe que ce soit vrai ou fantaisiste. Tout simplement parce que le rendement de l'huile de palme est d'environ 3,72 tonnes à l'hectare alors que celle du soja est de 0,40 et celle du colza de 0,72 tonnes. Autrement dit, le palmier à huile produit près de 10 fois plus de matière grasse que le soja, et plus de 5 fois plus que le colza. Imposer un boycott, une taxe punitive ou une campagne de dénigrement sur l'huile de palme, cela revient indirectement à favoriser des cultures 5 à 10 fois plus gourmandes en superficie.
Mais pour que la catastrophe sanitaire prenne une ampleur internationale, il faut maintenant laisser les sénateurs en roue libre.
En effet, après avoir bien crié haro sur le baudet facepalmesque huile-de-palmesque, après avoir enchaîné campagne dramatique sur pamphlets enflammés contre les méchants producteurs qui saccagent les forêts et notre sécurité sociale à coup de crises cardiaques coûteuses, ce qui devait arriver arriva : les principaux industriels qui utilisent cette huile de palme dans leurs préparations ont senti la nécessité de se diriger vers une alternative, et d'en prévenir les consommateurs. Eh oui : le goût et le coût des produits vont changer. Aux grandes campagnes de sensibleries sensibilisation des écolos répond donc des campagnes de promotion de nouveaux produits, forcément respectueux des portefeuilles et des réglementations sénatoriales débiles (et, accessoirement, vantées comme respectueuses d'un environnement à géométrie variable).
Sauf que... sauf que ces campagnes ont un effet direct sur les producteurs d'huile de palme dont on a un peu oublié qu'il s'agissait de leur gagne-pain. Et ce n'est pas exactement comme si les plantations de palmiers n'employaient qu'une ou deux personnes localement. On apprend ainsi que des milliers d'emplois, et donc des milliers de familles (plus de 35.000 en Côte d'Ivoire), généralement pauvres, vivent grâce à l'exploitation du palmier à huile. C'est d'ailleurs ces exploitations qui permettent à de plus en plus de pays émergents d'élever le niveau de vie général de sa population ; rappelons cependant que pour un écolo, la vie d'un orang-outan et un hectare de forêt vierge vaut bien plus que la vie d'un triplet ou deux d'enfants pauvres et sous-nourris : après tout, ils sont loin et n'ont même pas la sécurité sociale (les cons !)...
Bilan : l'impact économique de la taxation vexatoire et du dénigrement massif de ces productions (et par voie de conséquence, des producteurs) a provoqué de nouveaux problèmes. Ces derniers ont ainsi décidé d'attaquer Système U qui leur avait bien gentiment taillé un costard en béton (celui qu'on enfile avant d'aller couler dans un océan quelconque, bien loin des yeux occidentaux)... L'organisation d'un colloque, en juin 2013, sur le sujet de l'huile de palme, permettra peut-être, s'il n'est pas tout simplement ignoré de la presse occidentale, de remettre un peu de mesure dans les discours amoureusement teintés de greenwashing des industriels français.
Mais en attendant, le constat est sans ambiguïté : par leurs abrutissantes décisions, les sénateurs ont provoqué des tensions inutiles entre les pays émergents et la France, et vont, si on continue sur la même pente glissante, ajouter une bonne louche de problèmes à ces populations qui n'en avaient pas besoin en sapant le développement économique des producteurs locaux. Autrement dit, les sénateurs ont choisi de conserver dans la pauvreté des producteurs de pays émergents, pour remplacer une huile bon marché par des huiles plus chères et plus dangereuses pour la santé, dont l'exploitation accroît les problèmes de déforestation au lieu de les résoudre.
C'est un Triple Fail. Bien joué, messieurs.
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