Un disque Hérisson pouvant être acheté ICI
‣ Cliquez pour lire l'autre avis (de S. Houssier)Nous le savons, les ouvrages légués par Joseph Haydn lors de ses séjours à Londres - c'est à dire à partir de la mort de son ami Wolfgang Amadeus Mozart - marquent une césure assez nette et caractéristique avec l'abondant corpus antérieur légué par le compositeur. Tandis que voit le jour lors de sa seconde résidence, en deux groupes de trois (printemps 1794 et printemps 1795), l'ensemble miraculeux des symphonies londoniennes, et avant l'ultime série de quatuors (contemporaine de l'oratorio La Création, 1797), le Viennois s'attelle à un ultime triptyque de sonates pour clavier.
La première de ces trois partitions (ou peut-être les trois ?) a été conçue expressément pour Therese Jansen, une élève renommée de Muzio Clementi (1752-1832) : celui-ci était l'un des plus grands maîtres de son instrument, auquel il consacra son propre traité Gradus ad Parnassum. Ces œuvres ont également la particularité d'être destinées à un type précis de piano-forte, le Broadwood insulaire, à la tessiture plus étendue que celle de ses homologues continentaux.
Ce point constituerait-il une nouvelle démonstration de l'empressement de certains créateurs à se projeter, peu ou prou, vers l'avenir, en cherchant à tirer le meilleur, séance tenante, du dernier cri de la technique ? Tel n'est pas l'avis de leur jeune interprète Mathieu Dupouy, qui explique (lire ICI) qu'à une exception près, Haydn cantonne ses ambitus aux cinq octaves du piano viennois, alors que la "modernité" de l'anglais en revendique cinq et demie. Ceci a déterminé son choix d'un Jakob Weimes pragois de 1807 (vidéo présentée ci-dessous) : une facture encore chevillée à l'orée de son siècle. "Cette esthétique charnière m'a tout de suite semblé convenir parfaitement à ces œuvres qui sont le testament pianistique de Joseph Haydn", prend soin de préciser l'artiste.
Mathieu Dupouy interprète les Variations en fa mineur Hob.XVII:6
Testament est bien le mot, au sens le plus étymologique ; tant cette merveilleuse triade, ainsi que les deux séries de variations qui leur font suite, s'imposent comme un véritable passage de témoin ! En effet, si l'Hob.XVI:50 à l'ut majeur clair et limpide nous parle encore ce langage "classique", que son auteur lui-même, ou Mozart (KV 545 de 1788, dans la même ton), ont défendu et illustré à l'envi, l'évolution de la sensibilité, de l'Empfindung, devient patente dès l'opus suivant, Hob.XVI:51 en ré, brusquement réduit au bipartisme d'un Andante et d'un très court Presto. Une page n'ayant pas que la tonalité en commun avec la septième sonate, de trois ans seulement postérieure, d'un jeune homme du nom de... Ludwig van Beethoven ! Leurs finales entretiennent des parentés intéressantes. La concision de Haydn, ici sur un tempo fort sage, ne fait qu'accentuer une étrangeté, une lubie non dénouée, déjà dissociée du langage courant de son époque, désireuse d'entrer de plain-pied dans les décennies futures.Ces traits "novateurs" s'amplifient encore avec l'Hob.XVI:52, en mi bémol, davantage réputée sans doute. Si son portique liminaire et péremptoire peut anticiper fugacement Franz Schubert (non le moindre : celui du commencement de la sonate en la, D.959), c'est surtout son mouvement central, de par son humeur lunatique, instable voire errante, entrecoupée de silences, qui évoque, de la manière la plus caractéristique, l'univers schubertien à venir.
Joseph Haydn (1732-1809)
En complétant ce disque par deux pans de variations, Hob.XVII:6 et Hob.XVII:Annexe, Mathieu Dupouy enfonce quelque peu ce clou ; tant les premières (vidéo présentée plus haut), d'un anxieux fa mineur, sonnent comme un trait d'union entre le Mozart de la merveilleuse Fantaisie K 475... et Schubert encore, celui des non moins inclassables Impromptus. De ce dernier, aux "divines longueurs", les rapprochent également leurs dimensions monumentales, leur large palette expressive, comme cette capacité à mener de front la grande forme et le souci quasi pointilliste attaché à la miniature. Titrées Gott erhalte Franz der Kaiser (Dieu reçoive l'empereur Franz), source de l'hymne autrichien puis allemand, les secondes déroulent dans un temps beaucoup plus ramassé une candeur assez nue, là encore proche de Mozart, celui des Ah ! vous dirai-je maman bien sûr.Badura-Skoda, Staier, Schornsheim, Brautigam... Dupouy : la relève s'annonce fringante.
(1) Mathieu Dupouy pratique cinq instruments : le clavicorde, le clavecin, le piano-forte, l'orgue et - occasionnellement - le piano "moderne". Les trois premiers nommés ont été successivement utilisés dans ses trois disques signés auprès du label Hérisson, en comptant celui-ci.
‣ Pièces à l'écoute simple, en bas d'article ‣ Sonate Hob.XVI:50, 3° mouvement : Allegro - Sonate Hob.XVI:52, 2° mouvement : Adagio - Sonate Hob.XVI:51, 1° mouvement : Andante ‣ © Label Hérisson 2012.
‣ Cliquez pour lire l'entretien avec Mathieu Dupouy, au sujet de ces Haydn, sur le site Piano Bleu
▸ Jacques Duffourg
‣ Joseph Haydn (1732-1809) - Sonates Hob.XVI:50, 51 & 52.
Variations Hob.XVII:6 & Hob.XVII:Annexe "Gott erhalte Franz der Kaiser".
Mathieu Dupouy, piano-forte Jakob Weimes, Prague, ca 1807.
‣ Le site web de Mathieu Dupouy.
‣ Un disque Hérisson pouvant être acheté ICI.