Hubert Ripoll, un psychologue du sport, a consacré de longs mois à la question. Il a mené des dizaines d’heures d’entretiens avec des entraîneurs et sélectionneurs issus d’une vingtaine de disciplines. Et en a tiré un ouvrage à paraître début mai : « Le mental des coachs “.
Première découverte : les sportifs n’ont plus l’exclusivité de la préparation psychologique. Les coachs, eux aussi, se mettent à consulter, surtout les plus jeunes. Hubert Ripoll explique à Rue89 : ‘Comme ses athlètes, un entraîneur ne peut pas toujours gérer seul l’aspect psychologique de la performance. Beaucoup se font aider par des préparateurs. Et ils seront de plus en plus nombreux à le faire.’
Auguin : ‘Accompagner l’athlète’
Denis Auguin, 42 ans, entraîneur du nageur Alain Bernard, accompagne le champion olympique du 100 mètres nage libre depuis plus de dix ans. Avec lui, dans son ombre, il a connu les victoires et la gloire, mais aussi l’échec et les doutes. Celui qui se définit comme un ‘malade de la natation’, capable de se lever en pleine nuit pour ‘ noter une idée ’, raconte : ‘Plus que le chrono ou le résultat, ce qui me plaît, c’est d’accompagner l’athlète dans son projet. L’investissement au quotidien, la compréhension par le nageur de ce qu’il fait, son éveil et son épanouissement.’
Pour le psychologue, l’athlète et l’entraîneur ont au moins un point commun : ‘Leur moteur ne peut pas être la victoire, l’ego ou la reconnaissance des autres. Pour l’un comme pour l’autre, le succès ne peut durer que s’il s’inscrit dans une recherche de progrès. Pas de victoire à tout prix.’
Des comptes à rendre
Mais à la différence du sportif, qui avoue parfois ‘avoir craqué face à la pression’, le coach ne s’autorise pas à confier ses doutes et ses angoisses. Pourtant, au bord du terrain, il a autant de raison de paniquer. Hubert Ripoll : ‘Le champion n’a de comptes à rendre qu’à lui-même. Le coach est payé par quelqu’un, un club, une fédération, un athlète. Il doit rendre des comptes, sa carrière en dépend. D’un sportif, on espère qu’il gagne. D’un entraîneur, on attend qu’il fasse gagner son poulain.’
Selon l’auteur, les entraîneurs de sports collectifs et de sports individuels n’ont pas le même rôle. Dans le premier cas, il doit savoir distribuer les cartes dans l’équipe, désigner le capitaine, repérer le grand frère, trouver un rôle à chacun. Dans le second, il lui faut construire une relation forte avec son athlète, le connaître parfaitement, pour faire ressurgir dans les moments importants des choses intimes.
Onesta et Lièvremont, les références
A en croire le psychologue, deux entraîneurs français possèdent la ‘ stabilité émotionnelle ’ qui rend les coachs meilleurs : Claude Onesta et Marc Lièvremont. L’actuel sélectionneur de l’équipe de France masculine de handball, bardé de médailles d’or. Et l’ancien patron du XV de France, passé l’automne dernier à un point de l’eldorado rugbystique, la victoire en Coupe du Monde. ‘Claude Onesta a su se positionner dans le système. Il connaît ses limites, chose rare dans la fonction. Il accepte les échecs. Et il maîtrise parfaitement la gestion de son groupe, sachant déléguer au sein de l’équipe. Il incarne une forme moderne du coach, le manager, au fonctionnement emprunté au monde de l’entreprise. Il sait gérer les joueurs et les journalistes. Raymond Domenech, à l’inverse, ne gérait ni les uns ni les autres.’
Onesta : ‘Je n’impose rien’
Claude Onesta à l’Euro 2010, janvier 2010. (Reuters/Murad Sezer)
A la différence de son prédécesseur Daniel Costantini, volontiers autoritaire, Onesta n’aime rien tant que confier les clés du bus à son groupe. Il l’explique à Rue89 dans les mêmes termes que le psychologue :‘Depuis quelques années, nous sommes passés, avec les gens de mon staff, d’une démarche directive à une démarche participative, en mettant le joueur au centre du processus. En clair, nous avons fait en sorte que le joueur devienne le créateur de sa propre aventure. Je n’impose rien, ni la tactique ni les combinaisons de jeu, mais je laisse les uns et les autres exprimer leur avis. Cette méthode exige beaucoup de réflexion, des échanges, du débat. Je voulais fonctionner ainsi depuis longtemps, car j’ai moi-même toujours été un peu rebelle aux directives, aussi bien lorsque j’étais joueur qu’au début de ma carrière d’entraîneur.’
L’intelligence de Lièvremont
Le cas Marc Lièvremont diffère dans les principes comme dans les résultats. A la Coupe du Monde 2011, le sélectionneur a semblé prendre l’eau, dépassé par les évènements, balloté par la tempête médiatique. Depuis son poste d’observation, le psychologue l’a trouvé au contraire expert en gestion de crise. ‘Pendant deux semaines, Marc Lièvremont a été honni par la moitié de la France du rugby. Mais sa stabilité émotionnelle m’a impressionné. Son équipe, qui a explosé psychologiquement en cours de tournoi, a réussi à s’en sortir en faisant front et en se repliant sur elle-même. L’intelligence du sélectionneur a été d’accepter ce repli. Thierry Dusautoir, le capitaine, est devenu le substitut du coach. Mais si l’équipe a su rebondir, elle le doit aux liens sociaux que Marc Lièvremont avait su tisser depuis plusieurs saisons.’
Très éloigné de Claude Onesta par son caractère, plus introverti et moins gouailleur, l’approche de Marc Lièvremont se révèle très proche de celle de son homologue du handball : ‘J’ai toujours pensé que le joueur devrait être placé devant ses responsabilités, face à ses choix individuels et collectifs. J’estime donc que, 48 heures avant le début d’une rencontre, mon boulot est fini.’
Lien à l’article original RUE 89