Le trou noir

Publié le 10 décembre 2012 par Sudrugby

Les Blacks ont perdu. Dit comme ça, on a l’impression qu’il n’y a rien d’extraordinaire, que c’est naturel et normal de perdre des matchs. Mais pas ici. En soit c’est un petit évènement. Après 20 matchs et plus d’un an d’invincibilité, les Blacks se sont inclinés. Et ce lourdement, 38 à 21 face aux Anglais. Alors la faute à qui ? La faute à quoi ? Vous faites bien de poser la question…

Mike Brown, Chris Robshaw et James Haskell peuvent exulter, ils ont battu les Blacks ! Crédits : mirror.co.uk

Bizarrement, on peut se dire que ce match n’a été qu’une affaire de réalisme et d’opportunisme. Opportunisme dont ont triomphé les Anglais. Le constat est simple. Habituellement, les Blacks versions 2012 ne se contentent que d’une possession assez faible, autour de 40%. Mais, ce déficit de possession, ils parviennent à la contrecarrer par un sens du réalisme et une gestion du temps exceptionnels. Les Néo-Zélandais aiment prendre à défaut leurs adversaires sur des attaques en première main, sur des turnovers ou des actions qui ne laissaient rien présager de la sorte. Finalement ils scorent – et ce vite et bien – sur une domination assez faible et uniquement sur des incursions dans les 22 adverses, et non pas sur des longs temps de jeu. C’est ni plus ni moins que la méthode appliquée tout au long du Four Nations. L’exemple le plus flagrant ? Face à l’Argentine où les Pumas ont campé pendant 5’30 dans les 22 néo-zeds tandis que les Blacks ne se contentaient que d’1’30 dans les 22 pumas. Oui mais voilà, score final 54 à 15 en faveur des Kiwis et 7 essais à 1. C’est dire l’importance du réalisme dans le jeu néo-zed. Il est tout simplement essentiel.

Dan Carter, tout juste élu meilleur joueur du monde, n’aura pas été à son avantage

Tellement essentiel que quand il n’est plus là, tout dégringole. C’est exactement ce qui s’est passé face aux Anglais. Tout allait bien, les Blacks ne dominaient pas plus pas moins que d’habitude. Problème : ils ne marquaient pas. Et pendant toute la première mi-temps, ils n’ont marqué le moindre point, chose rarissime en soit. A contrario, les Anglais auront triomphé de leur réalisme froid. En témoigne le drop d’Owen Farrell en première mi-temps. Et à coup de pénalités et d’un pragmatisme typiquement British, les Anglais auront vite pris l’avantage. Pour ne plus jamais le lâcher. Les « Pigs » (surnom que donnent les Néo-Zélandais aux Anglais) auront mis quasiment une heure à marquer leur premier essai. Encore une fois on peut y voir un savant sens de l’opportunisme. Le second essai anglais se résout à une attaque classique avec peu de temps de jeu, conclue par Tuilagi et le troisième à une interception de Tuilagi, encore lui. Sans réellement dominer, les Anglais auront balayé les Blacks. Plus opportuniste, tu crèves.

Ce péché de réalisme néo-zed, on avait pu en découvrir quelques aspects durant le Four Nations, notamment lors de la double confrontation face aux Wallabies. Certes, il n’avait pas pesé, tant les Blacks gagnaient avec une marge plus que confortable. A Twickenham, il aura lourdement contribué à la défaite. En plus de ça, les Blacks auront loupés trop de points au pied (un joli 0/2 pour Carter sur les pénalités). Tout l’inverse des Anglais qui auront complètement tiré profit de l’indiscipline des Kiwis (quand même 13 pénalités à leur encontre). Farrell aura marqué 15 points sur 15 possibles, rien que sur des pénalités.

McCaw n’aura pu ralentir les sorties de balles anglaises. Dommage

Affaire de réalisme certes mais affaire d’agressivité aussi. S’il y a bien un secteur où les Blacks auront péché, c’est celui-ci : le combat. Les Blacks auront subi une bonne partie des duels, tant en défense qu’en attaque. Forcément problématique. Le pack anglais aura constamment appuyé là où ça fait mal. Le travail de sape des avants aura été remarquable, à peu près partout. A tel point que Richie McCaw en personne n’a jamais pu faire parler ses talents de « fetcher ». « A part quelques moments en seconde période, je me suis tout le temps senti sur les talons » avouait-il. Sans parler des Messam, Mealamu et autre Read. Dommage, tant la force de frappe du pack anglais aurait été diminuée. Même constat en défense où les Blacks auront failli. Une stat : après trente minutes de jeu, les Blacks avaient déjà manqué 6 plaquages pour 24 réussis tandis que les Anglais eux en avaient réussi 49 pour un seul manqué… Il n’y a qu’à regarder le deuxième essai anglais suite à la percée de Brad Barritt : il est clairement dû à une énorme bévue de Conrad Smith en défense. Rien de plus.

La morale de l’histoire : s’il y a bien un domaine où les Blacks sont prenables, c’est celui du combat. C’est l’une des seules failles du jeu néo-zed et les Anglais l’ont pleinement exploitée. Si vous voulez gagnez face aux Blacks, il faut les presser physiquement et ce, de façon continue. Le salut d’un adversaire des Blacks passe par là. D’ailleurs, les matchs du Four Nations où les Blacks ont été le plus inquiétés n’étaient pas moins que ceux face aux Sud-Afs. Et qu’est-ce qu’on fait les Boks ? Ils ont outrageusement dominé dans les duels physiquo-physiques. C’est « juste » ce qu’il a fallu faire pour contrecarrer les plans néo-zeds.

Conrad Smith l’avocat met en avant le rythme trop éprouvant d’une saison pour un All Black

On aura pu remarquer au passage que les Blacks ont clairement accusé le coup physiquement, particulièrement en seconde mi-temps. Question de rythme… Le match de trop pour l’équipe de Steve Hansen ? Certainement. Surtout quand ce match – hors de la fenêtre décrétée par l’IRB – n’avait aucune raison d’être. Si ce n’est remplir encore un peu plus les caisses de la fédération néo-zed. Visiblement, les sudistes souffrent de la même chose que nous autres Européens : ils jouent trop de matchs. « Combiner les rendez-vous internationaux avec le Super 15 est devenu difficile pestait Conrad Smith. J’ai joué 26 matchs cette saison (sur 28 possibles) et je pense que le bon chiffre devrait être un peu au-dessous de ça. Il est difficile de jouer dix mois à son meilleur. » Inquiétant.

Brodie Retallick, à l’image de son pack, aura été transparent

Autre fait inquiétant et pas des moindres : la copie des Blacks dans le secteur offensif. Inquiétant dans le sens de surprenant. En effet, s’il y a bien un domaine où les Blacks sont les rois incontestés et incontestables, c’est celui-ci. A Twickenham, les Kiwis n’auront que peu inquiété les Anglais. Les raisons à cela ? Primo, le jeu debout, après-contact n’aura pas eu le succès escompté. Secteur clé du rugby moderne, le jeu debout fait toute la réussite et la réputation de l’attaque des tout-noirs. Face aux Anglais, il aura terriblement manqué. Les Néo-Zeds n’auront réalisé que 8 off-loads quand habituellement ils en réalisent plus d’une douzaine. Pis, ce jeu après-contact aura souvent été peu utile, tant les Anglais ont été performants en défense. Deuzio, la charnière n’aura pas ou peu pesé sur la rencontre. Pourtant étincelante à l’accoutumé, le duo Smith-Carter aura été impuissant dans toutes les décisions qu’il a peu prendre dans le jeu courant, dans la gestion, dans le jeu au pied. La rentrée d’Aaron Cruden – et encore moins celle de Piri Weepu – n’aura rien changé. Tertio, les Blacks n’auront eu que peu de ballons intéressants à jouer. Les Blacks, friands de ballons en première main et de ballons de récupération, n’auront pas été comblé. Loin de là. Rien que sur le domaine de la conquête, les Blacks auront perdu 4 ballons sur leurs propres lancements de jeu (2 en touche, 2 en mêlée). Dans les rucks, on l’a dit, McCaw et Cie n’ont rien pu faire. Sans parler des ballons rendus au pied. Et là, c’est tout à leur honneur, les Anglais n’auront quasiment pas rendu de ballons au pied mais aussi dans le jeu courant. C’est en grande partie à cela que s’est tenu l’avantage conséquent des Anglais en première mi-temps (12-0). On ne peut qu’applaudir la stratégie de Stuart Lancaster et de son staff. D’ailleurs, il suffisait que les Anglais ne redonnent rien qu’un seul ballon pour que cela fasse mouche. Illustration sur le second essai néo-zed inscrit par Read qui n’est autre qu’une touche non-trouvée par les Anglais. Le talent des Blacks dans le jeu débridé aura fait le reste.

Mais malgré tout ça, que l’on se le dise, on ne peut pas vraiment dire que les Blacks auront été mauvais. Ils auront juste été moins bons que d’habitude. Et comme ils sont habituellement excellents… Cette défaite s’est muée à une somme de petites choses étonnantes qui a pesé sur la rencontre : Carter en-dedans, 12 fautes de mains, 13 pénalités, un cinq de devant transparent, deux essais tout faits en fin de rencontre finalement loupés… Une somme de petites choses ont vous dit. Non, il faut à juste titre le reconnaître, les Anglais auront été exceptionnels. Ni plus ni moins. Et finalement, cette défaite des Blacks ne s’apparente qu’à une erreur de parcours. Rien de plus.