Les Bêtes du Sud Sauvage n'a rien d'un conte fée magique ou d'un univers fantastique peuplé de créatures merveilleuses. Bien au contraire ! La magie et le fantastique sont bien au rendez-vous, mais c'est principalement parce que c'est par les yeux d'un enfant que nous est racontée cette belle histoire, cette triste histoire malheureusement trop réelle...
Une catastrophe glaciaire qui arrive, libérant des Aurochs dont l'approche est de bien sinistre augure... Voilà ce à quoi se prépare Hushpuppy. Elevée "à la dure" par un père gravement malade, qui n'a de crainte que sa fille ne soit pas suffisamment forte pour pouvoir affronter ce monde difficile, c'est désocialisée, loin des grandes villes et de leurs règles, que Hushpuppy grandit. Elle vit dans des maisons faites de planches et de récupérations diverses, son quotidien est sans luxe ni superflu, les bons moments surviennent quand la nature offre un bon repas ou quand elle partage quelques moments de convivialité avec les voisins. Dans une telle vie, c'est la précarité qui prime, et les rêves de Hushpuppy sur la catastrophe qui arrive sont aussi bruts et dépourvus de fantaisie que sa vie de tous les jours. Bienvenue en Louisiane, bienvenue dans l'Amérique d'aujourd'hui, bienvenus parmi les exclus du système...
Inconsciente de la situation sociale dans laquelle elle évolue, le monde de Hushpuppy se fabrique pourtant sa vision du monde et sa signification. La catastrophe qu'elle sent arriver, et qu'elle imagine sous la forme d'aurochs, n'est que sa vision de ce grand "déluge" que redoutent les adultes. Normal, lorsque l'on vit au beau milieu de la nature, loin des villes, à deux pas d'une digue vraisemblablement tenue par une grosse entreprise, de redouter l'inondation de la vallée... Normal de redouter que l'on soit chassé de ce no man's land au nom d'un intérêt privé... Normal que d'importantes précipitations ne puissent plus être absorbées par une nature compromise par des constructions humaines.... Les Bêtes du Sud Sauvage ne sont pas forcément les animaux qui peuplent ces bayous, dont Hushpuppy se plait à écouter le coeur des plus petits... Les Bêtes du Sud Sauvage, ce sont ces gens qui vivent au milieu de nulle part, ce sont ces gens, aussi fragile que l'écosystème dans lequel ils survivent...
Là ou Winter's Bone montrait une Amérique exclue du rêve américain, en tentant de rester objectif dans sa représentation du réel, Les Bêtes du Sud Sauvage expose le même constat atroce d'un système qui ne regarde pas ceux qu'il a rejetés, mais par les yeux d'une enfant de 6 ans. Ce monde fantastique, presque magique, dans lequel évolue Hushpuppy ne l'est pas ! Cette victime involontaire du système, presque rendue à l'état sauvage par ce dernier, n'à grandi qu'avec les miettes de celui-ci pour seuls repères. Cette magnifique vision embarquée, par les yeux d'une jeune victime, est belle et poétique, malgré la crasse et la boue dans laquelle elle prend vie. Ce qui terrifie et glace le sang, c'est que cette belle aventure est notre monde actuel. Si la liberté est de chaque journée, si les rêves sont faits de bêtes préhistoriques, et s'il suffit de partir à l'aventure pour retrouver sa mère, c'est la fragilité, voire l'éphémère, de chaque chose qui est le plus palpable dans le monde de Hushpuppy. Comme ces hommes livrés au trottoir, privés de leur dignité, abandonnés à un retour à l'état animal, le système qui fuit l'animalité créé de nouveaux animaux, uniquement mus par des besoins premiers, totalement dépourvus de rêves de confort ou de richesse... Dans les bayous de l'Amérique moderne, il existe un endroit où l'on peut trouver de tels animaux... Les Bêtes du Sud Sauvage traite de tout cela, d'une bien étonnante manière, bien singulière, fort belle, très forte et sans misérabilisme... Un triste constat silencieux, s’exécutant dans une poésie presque apocalyptique des plus réussies.
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