Après notre difficulté à prendre en compte le hasard, et notre propension à reconstruire le passé, voici le troisième thème : notre aversion à la perte. C’est cette découverte qui est à l’origine de ce que Daniel Kahneman a appelé la théorie des perspectives et qui, pour l’essentiel, lui a valu d’obtenir le Nobel d’Économie en 2002.
De quoi s’agit-il ? Une fois encore d’une idée simple : nous avons plus peur de perdre 1 € que d’en gagner 1 €. Cette observation démontrée par de nombreuses expériences est lourde de conséquences, car, à elle seule, elle remet en cause les fondements des théories classiques économiques : en effet, celles-ci, implicitement ou explicitement, reposent sur l’idée que « (1) + (-1) = 0 » et font l’hypothèse que le comportement humain cherche à maximiser la somme de ses gains et de ses pertes.
Dans son dernier livre, Daniel Kahneman revient sur ce point fondamental :
« Le « taux d'aversion à la perte » a été estimé dans le cadre de plusieurs expériences et se situe généralement entre 1,5 et 2,5. (…) Il y a des risques que vous n'accepterez pas, peu importe les millions que vous pourriez gagner si vous avez de la chance. (…) La douleur de perdre 900 euros représente plus de 90 % de la douleur causée par la perte de 1 000 euros. Ces deux idées sont l'essence même de la théorie des perspectives. »Notre aversion à la perte se complique avec la notion de regret : face à une décision à prendre, nous choisirons non pas celle qui maximisera notre ration entre perte et gain, mais celle qui aussi ne risquera pas de déclencher de trop grands regrets. Voici un exemple tiré du livre :« Voici deux problèmes :- Problème 6 : choisissez entre 90 % de chances de gagner 1 million d'euros OU 50 euros avec certitude. - Problème 7 : choisissez entre 90 % de chances de gagner 1 million d'euros OU 150 000 avec certitude. Comparez, dans chacun des deux cas, la douleur anticipée si vous décidez de parier mais que vous ne gagnez pas. Dans les deux cas, l'échec est une déception, mais la douleur potentielle est aggravée dans le problème 7 par le fait que vous savez que si vous choisissez de parier et que vous perdez, vous regretterez la « cupidité » de votre décision qui vous a coûté 150 000 euros. Avec le regret, la perception du résultat dépend d'une option que vous auriez pu choisir, mais que vous avez finalement repoussée. »(à suivre)