Avais-je le choix ?

Publié le 10 décembre 2012 par Gentlemanw

Tout a commencé une nuit.

Je n'avais pas mangé depuis près de trois jours. Un repas, un très maigre repas, quelques restes, car les derniers éléments pour nous nourrir, je les avais donné à ma fille. Je suis une maman solo, virée de son boulot pour déprime et raison de crise, virée de sa vie par un homme alcoolo et qui me trompait. Je suis une femme qui a vu tout tomber autour d'elle en quelques années, plutôt quelques mois, plus rien pour payer l'appartement, un déménagement, un nouveau studio super petit, un lit pour ma fille, moi je dors sur un coin de canapé, recroquevillée.

Et puis maintenant plus rien, je paye le chauffage, je ne paye plus le loyer, et depuis deux semaines, je n'ai plus aucun revenu, aucune aide, je suis humaine dans un système inhumain, qui voit des pauvres ailleurs alors qu'ils sont là, moi dedans. Je vis de rien, je donne à ma fille pour qu'elle vive du peu, qu'elle profite de l'école, et de mes derniers sourires.

Cette nuit, je l'ai laissé, une déchirure, mais je vais travailler, enfin gagner de l'argent. J'ai décidé, la faim a décidé pour moi, je vais me vendre, vendre mon corps, me prostituer, me désagréger intimement pour avoir un peu de monnaie, d'autres repas. Dans le noir, dans un quartier vu de jour, avec mon look de bourgeoise, en cuir, sans repère.

J'ai toujours attiré les regards des hommes, cela devrait fonctionner, sans jouer la dame pute, sans user de résilles et de tenues vulgaires, je vais me vendre tel que je suis. Je ne sais rien de tout cet univers, je suis là, ils s'approchent, ils demandent combien. 

La nuit fût froide, je ne savais pas, j'ai dit "non", puis j'ai fini par dire "oui" et monter dans cette voiture, sans trop savoir. J'ai dit "oui" plusieurs fois, j'ai vu mon portefeuille se remplir, j'ai vu les repas, j'ai entendu mon estomac vide quand il me pressait, quand il s'activait.

Le matin arrive.

Je suis rentrée, épuisée, souillée, éffrondrée. Je me suis lavée, j'ai préparée son déjeuner avec deux croissants, un luxe incroyable. Elle a dévoré ce repas, avant de partir à l'école, heureuse. J'ai pleuré, écroulée sur le sol.

Epouvantée par ce choix, mais je n'en avais plus d'autres. Je suis sortie de mon corps pour en devenir spectatrice, pour revenir à des fonctions primaires "me nourrir" et "survivre".

Je me regarde dans la glace, j'ai changé, je prépare ma tenue chaque fin de journée, dans un sac, avant d'aller la chercher à l'école. On dîne, on a chaud, j'ai payé l'électricité et le chauffage. Un hiver rude, mais la chaleur chez nous.

J'ai changé de vie, je pleure chaque jour. J'ai vu un médecin car l'autre soir, je me suis fait tabasser par un client, un mauvais coucheur. Je connais mes collègues, elles m'ont acceptée parmi elles en connaissant mon histoire. Je ne suis pas la seule à venir le soir. D'autres sont plus occasionnelles mais elles aussi arrondissent les fins de mois. La crise.

Je suis prise par ce système, je mets de l'argent de côté, je ne suis plus moi-même le soir. Je survis, mieux financièrement, moins personnellement. Je suis libre de mon temps, je peux offrir un peu de superflu à ma fille, nous ferons Noël.

Mais si la famille pose des questions, je ne répondrai pas, je serai une employée lambda. Je serai là pour les sourires de ma fille. Elle ne saura pas, personne ne saura, je suis déjà assez souillée pour ne plus arriver à m'en défaire. Je prends trois douches après mes retours, mais il y a comme une odeur.

Ce soir encore, je reprendrai le chemin, de cuir vêtu, femme, bourgeoise et maîtresse de cul pour ces hommes, parfois des couples. J'ai mes habitués déjà, ils aiment mon style chic et insoumise.

Vivement demain.

Dans la série "PORTRAITS DE FEMMES"

Nylonement