Il y a quelques jours, je vous racontais l’histoire du riz, cet ingrédient omniprésent dans les cultures et les traditions asiatiques mais c’était sans vous parler des rizières… Nul ne peut imaginer les douces plaines de l’Asie sans visionner à perte de vue le dégradé vert des rizières, une nature façonnée par l’homme et représentative des paysages de tout un continent.
Les terrasses de riz au sud de la Chine, au centre de Bali ou encore au nord des Philippines sont des exemples impressionnants. Certaines ont été créées il y a plus de 2000 ans et témoignent ainsi d’un art paysager qui fait partie des plus belles performances culturelles des peuples paysans du monde entier. Les rizières en terrasses montrent aussi de quelles inventions géniales l’homme est capable lorsqu’il s’agit de subvenir à ses besoins fondamentaux.
Pour cela, arrêtons-nous un instant sur la culture du riz. La culture de la précieuse céréale nécessite des exigences bien spécifiques de chaleur et d’humidité. Ces conditions et la configuration du terrain des rizières font qu’il est souvent très difficile de mécaniser les outils de labour, de repiquage et de récolte. Dans beaucoup de zones de culture, c’est l’homme qui continue d’effectuer toutes ces tâches avec des instruments sommaires, ce qui rend cette activité particulièrement ardue et pénible.
Les étapes essentielles de la culture du riz sont le labourage, le hersage, la plantation, le repiquage et la récolte. Selon les précipitations et les températures des zones de culture, le riz peut être récolté 1 ou 3 fois par an. Mais dans les cultures les plus traditionnelles, comme celles des vallées des rivières du sud-est asiatique, où le riz est planté et récolté manuellement par les paysans, la récolte ne se fait qu’une fois par an. Dans la plupart des cas, faute d’avoir les moyens de recourir à des moyens mécaniques, ce sont les buffles qui secondent les hommes. Image typique de l’asie bucolique, où les buffles, attelés par les agriculteurs, tirent les lourdes charrues dans un sol de boue gluante.
Les parcelles sont séparées par des petites digues de terre au sein desquelles des vannes laissent l’eau circuler entre les parcelles. Les grains de riz sont semés à la volée; puis trois jours après la plantation, l’eau est vidée afin de faciliter la germination de la graine par le soleil qui chauffe le grain. Quand les feuilles et les tiges commencent à apparaître, le champ est inondé de nouveau ou profite des eaux de pluies. Une fois que les jeunes plants ont atteint une taille suffisante, ils sont déterrés avec précaution et repiqués dans les champs inondés à environ 20 cm les uns des autres. Cinq à six mois plus tard, le riz, d’un jaune doré, peut être récolté.
Les rizières libèrent un parfum tout particulier selon les périodes de culture. Une odeur de terre boueuse, imbibée d’eau, s’associant à une note verte de feuille humide presque croquante, qui se transforme à maturation du riz en une senteur chaude de céréale, proche de l’odeur de paille.
Lors de mes différents voyages en Asie, j’ai toujours été fascinée par les paysages de rizières. Mais c’est probablement en Indonésie, entre Java et Bali, que j’ai particulièrement eu la possibilité de les apprécier. En terrasses ou inondées, elles proposent un spectacle continu de jeux de miroirs et de lumières dont les couleurs ne cessent de changer à mesure que le jour passe.
Au centre de Bali, les rizières en terrasses de Jalituwih, sont si belles qu’elles ont récemment été ajoutées au patrimoine mondial de l’Unesco. Et pour cause, ces rizières sont un véritable chef d’œuvre. Une œuvre d’art qui témoigne de tout l’amour et du respect que les culltivateurs balinais portent à leurs terres.
A Java, les larges plaines et les rizières quadrillent le paysage tel un échiquier monochrome. Parsemées de maigres silhouettes éparpillées dans les champs, elles sont des pions en mouvement perpétuel qui animent d’une grâce souple et colorée cette toile de fond enchanteresse. Lors de mon dernier voyage, j’ai eu la chance de m’introduire dans un groupe de femmes travaillant à la récolte du riz.
Accompagnée alors de mon amie Hélène, nous nous étions engagées sur les petits chemins de terre qui nous mèneraient jusqu’à elles. A marcher en équilibre sur les étroites digues, trop concentrées pour ne pas tomber dans la boue environnante, nous pouvions à mesure de nos pas, mettre des visages sur celles qui n’étaient de loin, que de petits points de couleurs parmi le paysage.
Des femmes de tout âge, élégantes et coquettes malgré leurs conditions, qui portent des habits simples mais haut en couleurs. La tête protégée sous de larges foulards noués ou arborant le voile islamique bien ajusté sous leurs chapeaux pointus, elles sont regroupées sur une petite parcelle de terre en plein cœur des rizières. Assises à même le sol, elles se retrouvent peu a peu submergées par les imposantes piles de bouquets de riz apportés par les hommes.
Dispersés aux alentours, les hommes justement s’activent à la récolte et la coupe du riz, faucille à la main. Les pieds nus, le pantalon retroussé sous le genoux et tâché de boue, ils effectuent un interminable va-et-vient, les épaules chargées des panicules dorées éparses ou liées.
Les femmes se chargent alors de battre le riz sur le sol ou sur des planches en bois pour récupérer les précieux grains. Ainsi obtenus, ils sont ensuite récoltés dans de larges plateaux et ‘vannés’. Ainsi lancés en l’air, le vent emporte peu à peu la glume légère. Je crois que je ne me lasserai jamais d’observer leurs mouvements agiles faisant sauter et tournoyer le riz.
L’ambiance est joyeuse, les sourires et les rires faciles. Elles nous complimentent sur notre couleur de peau, si pâle à côté des leurs brûlées par le soleil. Nous fûmes touchées par la demande d’une jeune femme alors enceinte qui nous supplia de poser la main sur son ventre afin que sa petite fille puisse avoir la peau claire comme la nôtre, un soit disant critère de beauté… Et pourtant qu’elles sont belles ces femmes. Leurs mains ne cessent de voleter, leur sourire de hoqueter, leur bouche de se tordre à force de se raconter mille et unes histoires ou d’appeler leurs garçons jouant aux alentours.
Les voilà d’ailleurs, ces quatre petits effrontés qui ne cessent de nous tourbillonner autour depuis quelques temps. De vrais gamins sans peur et sans reproches, avec leurs tee-shirt à l’effigie de super héros et les pieds nus embourbés jusqu’aux chevilles. Je finis par empoigner mon appareil avec l’espoir d’immortaliser cette jeunesse insouciante.
Nous quitterons cette joyeuse famille alors que le travail se termine, nous prendrons avec elles le chemin du retour (toujours en équilibre), alors qu’elles transportent sur leurs têtes les lourds paniers de riz qu’elles amènent au village voisin.
Nous le retrouverons d’ailleurs ce riz, séchant au soleil sur des nattes à même le sol. Deposé au milieu des villages, devant les maisons et le long des routes, il sera régulièrement ratissé et retourné, continuant de sécher quelques jours durant sous un soleil brûlant.
Au loin, les rizières tout juste récoltées sont envahies de bruyants canards affamés qui se chargent d’exterminer insectes et autres escargots parasites. Des parcelles de terre boueuses qui seront ensuite brûlées en vue de la prochaine plantation.
Alors que la lumière ne cesse de dorer cette plaine inondée de vie, la beauté de ce tableau champêtre, ordonné en plate géométrie, succombe peu à peu sous l’étouffante chaleur humide. Les paysans reprendront alors leur travail aux plus douces heures de la journée.
Envahie par les diverses effluves de boue, de paille et de fumée, submergée des sourires et de ces moments de complicité, je me demande ce qui peut manquer au bonheur de partager la simplicité sincère et généreuse de cette vie paysanne.
Le titre de cet article fait référence au film chinois Mi Xiang 米香 (Le Parfum du riz) réalisé par Bai Haibin et Wang Hongfei