Les collectivistes accusent les libéraux de privilégier leur liberté sur celle des autres. Un raisonnement fallacieux.
Par Baptiste Créteur.
Les détracteurs du libéralisme l'accusent souvent d'être un système auquel, pour qu'il fonctionne, tous les individus d'une société sont tenus d'adhérer. La réduction du rôle de l’État aux fonctions régaliennes – ou sa disparition pure et simple – souhaitée par les libéraux s'imposeraient à tous ; les libéraux souhaiteraient donc, à l'instar des collectivistes qu'ils dénoncent, imposer leurs préférences individuelles. Pourtant, le pluralisme est possible et le libéralisme l'encourage, en faisant du libre consentement un principe des relations humaines.
Un exemple régulièrement utilisé dans la tentative de démonstration des collectivistes est la Sécurité sociale. Les collectivistes exigent l'adhésion de tous, au motif que sans la contribution des plus aisés, le système de redistribution ne pourrait plus fonctionner. L'apport des plus aisés, inférieur à ce qu'ils reçoivent, permet de financer ceux qui reçoivent plus qu'ils ne contribuent ; si certains individus venaient à cesser de contribuer, la péréquation serait difficile voire impossible. Pour maintenir à flot – tant bien que mal – la Sécurité sociale, il est nécessaire de forcer les plus productifs à adhérer au système.
Les libéraux, pour qui le consentement de l'individu est fondamental dans les relations humaines, revendiquent le droit de ne pas contribuer au système de redistribution. Ils mettent ainsi en péril le mécanisme de redistribution, d'où le raisonnement des collectivistes : les libéraux, en revendiquant leur liberté, empêchent les autres de choisir un système de redistribution, qui résulterait qui plus est d'un choix démocratique.
Mais la démocratie n'est pas censée donner aux uns le pouvoir de décider comment ils vont utiliser l'argent des autres. Elle n'est sinon que tyrannie de la majorité, mettant l'individu à la merci du nombre ou de tout groupe se revendiquant représenter la majorité. Rien n'empêche en outre les tenants d'une assurance-maladie redistributive de recréer cette institution, sans lui donner toutefois de caractère coercitif. L'adhésion libre, i.e. le consentement des individus, n'empêche pas la péréquation d'avoir lieu, mais elle ne requiert pas le sacrifice de certains pour les autres. Un système d'assurance-maladie peut exister sans avoir de caractère coercitif, la solidarité également, l'histoire en a fourni de nombreux exemples.
Ce que les collectivistes dénoncent, c'est que le libéralisme, en mettant en avant l'importance du consentement, met en danger leur liberté de jouir comme ils l'entendent du fruit du travail des autres. La liberté revendiquée par les libéraux de choisir pour eux-mêmes met effectivement en péril la liberté des collectivistes de choisir pour les autres. Le collectivisme n'accorde aucun droit à l'individu et considère que sa vie appartient au groupe, que le groupe peut le sacrifier à tout instant ; le libéralisme considère que le groupe est composé d'individus et qu'on ne peut pas prétendre donner des droits au groupe en bafouant ceux des individus qui le composent. De la même façon, on ne peut prétendre servir l'intérêt général ou le bien commun en le rendant extérieur et supérieur au bien individuel, puisque la société est la somme des individus qui la composent.
Ce n'est pas parce qu'ils ne seraient pas imposés à chacun que la solidarité, la protection contre le chômage ou les accidents de la vie et la prévoyance pour la retraite n'existeraient pas dans un système libéral. Ils seraient librement consentis, donc légitimes et justes, et les collectivistes pourraient recréer un équivalent non coercitif à l’État-providence s'ils le souhaitent. Que les libéraux veuillent choisir, pour eux-mêmes, de ne pas prendre part à un système, n'impose rien à ceux qui le souhaitent ; l'éthique leur impose en revanche de respecter les préférences individuelles. Ce qui semble une évidence n'en est apparemment pas une : la liberté pour tous permet à chacun de choisir.