La griserie du pouvoir (même le plus parcellaire, le plus minime) est un attrait auquel peu d’êtres humains résistent.
La culture est une forme de pouvoir ou, en tout cas, un privilège.
A bien des égards, nous sommes les « esclaves » de nos émotions, des empreintes liées à notre éducation et à notre vécu (surtout précoce), de nos habitudes, de nos modes de perception, de nos automatismes cérébraux, de la vision du monde que nous impose la culture à laquelle nous appartenons, du cadre (limité) que nous impose notre fonctionnement biologique.
Mais le problème est qu’en même temps, notre nature d’être humain, plus complexe, plus souple et plus adaptative que celle des autres mammifères et animaux, nous invite et nous amène à aspirer à un dépassement de nous-mêmes.
A toute force, nous sommes portés à essayer d’échapper à notre condition basique et donc, à renier notre part d’animalité et de déterminisme.
A toute force, nous sommes à la recherche de la liberté ; que ce soit sous une forme spirituelle (la méditation ou la transe), artificielle (l’usage de substances telles que les drogues), scientifique (comprendre le monde pour, en quelque sorte, le maîtriser, se hausser « au-dessus de lui ») ou technologique (à l’aide des machines).
Ce sont les fins du monde qui font les mondes neufs.
Nous sommes des empilements de degrés, de niveaux : instincts, émotion et raison. De sorte que nous sommes compliqués, imprévisibles, un peu « schizophréniques ».
Notre « étage raisonnant » nous rend capables de prodiges d’analyse, de calcul, de recul, de maîtrise de soi, voire de sagesse. Mais notre « étage émotif » -souvent incontrôlable- reste vivace, et entre fréquemment en conflit avec l’étage « supérieur ».
Quant à l’étage juste au-dessous, il nous gouverne non moins puissamment, pour la bonne raison que c’est notre biologie et notre survie même qu’il gère : alimentation – reproduction, donc sexe – instinct de conservation traduit en peur, en attaque ou en fuite, instinct territorial…
Chacun de ces « états » est l’expression comportementale d’une « tranche » de notre cerveau : en gros, néocortex (surtout cortex préfrontal), cerveau limbique et cerveau reptilien.
Résultat : on peut – à bon droit – parfois se demander « lequel de moi s’exprime en ce moment ? ».
Ainsi l’Homme apparait-il comme, dans son essence même, « hypocrite ».
Notre destin est, le plus souvent, une conjonction entre hasard, libre-arbitre et réactions, manière de réagir à ce qui nous entoure.
Les gens sont (presque) toujours en manque de quelque chose et, par voie de conséquence, désireux de s’approprier ce qu’a autrui.
L’envie est une résultante directe de l’intense mimétisme humain et du sentiment d’incomplétude qui, si fréquemment, frustre l’Homme.
Notre vécu et notre ressenti nous appartiennent entièrement tout autant qu’exclusivement.
Ils sont strictement personnels, étroitement individuels.
En ce sens, nous ne pouvons les partager que dans une certaine mesure, avec certaines limites. C’est cela (cette incarcération en soi, dans son propre destin) qui constitue l’essence du drame humain.
L’Homme aime à partager son expérience, à croire qu’il est « connecté » à son entourage. Mais ce n’est pas vrai, dans la mesure où il est, face à son moi, à son destin, irrémédiablement SEUL.
Il rêve de large empathie, de partage complet, mais ses rêves butent sans cesse sur le fait qu’il est enclos dans ses propres limites spatiales et temporelles, dans sa propre peau et dans sa propre psyché, dans son propre rapport à lui-même et au reste de l’univers.
Sa complexité, son unicité, son irréductible particularité lui confèrent une sorte de dimension insondable.
Le peintre qui nous donne des couleurs compactes, fortes, jaillissantes, éclatantes – presque bruyantes tant elles sont animées, parcourues, aiguillonnées par la vie propre qui les possède, presque COMESTIBLES tant elles deviennent charnelles, génératrices d’attraction- offre à notre œil – pour ne pas dire à nos cinq sens – un véritable régal.
Dans son brut absolu qui fuse, dans son intensité compacte, opaque, la couleur est la récompense –toujours étonnante et tonnante- de l’œil qui cherche.
La vie est une machine à dresser des obstacles sur notre passage.
Si elle dit catégoriquement « non », mieux vaut ne pas insister (car elle a toujours le dernier mot) ; bien plutôt, lui opposer attente, détermination et…patience.
Chaque chose – ne serait-ce que dans son apparence – possède une multiplicité de visages.
P.Laranco