Quand on fait du feu on s'y intéresse. On souffle souvent, pour ainsi dire tout le temps. On remet de la braise ou des boulets entre les bûches afin qu'il y ait de l'air entre celles-ci, autrement elles font un corps inattaquable, surtout si elles sont mouillées. Cela prend du temps, une ruse où se dépense l'imagination. Et, en plus, cela procure de l'intérêt - un formidable intérêt - et du plaisir. Il est indubitable que la chaleur est un plaisir et le froid même léger une douleur, et cette douleur moi et des êtres comme moi sommes bien décidés à ne pas la supporter. Dès que je me lève, je fais du feu et m'intéresse à ce feu, autrement - si je n'ai plus de bois ni d'argent pour en acheter -je ne me lève pas.
Je parle de moi parce que c'est très à sa place dans une chronique. Il doit être question de l'hiver, il me semble, et des plus durs mois qui sont février, mars et avril. Mais bien souvent et du début à la fin de juin. Enfin même en juillet quelquefois un supplément de commande de bois n'a rien d'exagéré.
Je pourrais suppléer à cela - cette perte de temps veux-je dire à ce continuel travail fastidieux qui compromet des journées entières - par un chauffage électrique. Il n'y a qu'à braquer une manette dans le mur et tout est dit. Oui, mais je n'en veux pas. L'électricité peut faire défaillance et simplement à ce moment-là on crève. Non, les romains hivernaient, je veux faire comme les romains.
Charles-Albert Cingria, Il a fait des bourrasques insensées, dans: Oeuvres complètes, vol. 2 (L'Age d'Homme, 2011)