Lors de l’élection de François Hollande à la présidence de la République, j’avais rédigé le courrier ci-dessous. Ce courrier n’est pas resté lettre morte puisque je ne l’ai jamais expédié, jugeant qu’un nouveau pouvoir issu d’une alternance attendue méritait un peu de temps et de répit.
Je ne regrette pas cette décision. La nouvelle Garde des Sceaux Christiane Taubira est à la manœuvre pour restructurer de nombreux chantiers laissés à l’étude ou à l’abandon. L’avenir nous dira si cette restructuration est bénéfique ou illusoire pour la Justice de notre pays.
Certains se sont étonné que je parle moins de « ma prison » et des « mes prisonniers ». Que tous se rassurent, je n’ai renié ni l’un, ni l’autre. Certaines expériences personnelles m’ont confirmé que se taire c’est consentir. Consentir, c’est abandonner aux autres ses propres devoirs et sa propre responsabilité.
Ma responsabilité personnelle, mon devoir de citoyen, c’est de joindre ma voix à celle de Jean-Marie Delarue, Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté, qui comme Robert Badinter avant lui, utilise sa position pour dénoncer sans relâche la situation scandaleuse des prisons françaises.
La fin de l’année 2012 arrive à grands pas et Jean-Marie Delarue porte sur la place publique le cas de la prison des Baumettes à Marseille où la dignité humaine s’est envolée. Cette réalité là, il était impossible pour moi de la taire et de consentir à l’abandonner aux autres…
Monsieur le président de la République,
C’est en simple citoyen, en citoyen engagé, que je me permets aujourd’hui de vous interpeller sur la situation honteuse et dramatique de nos prisons.
Lors de la dernière campagne présidentielle, vous avez répondu aux interrogations de l’Observatoire International des Prisons (O.I.P.) qui vous a questionné sur le sujet. A cette occasion, vous avez fixé le cap de la politique pénitentiaire et judiciaire qui sera mise en place tout au long de votre quinquennat.
Au cœur des crises économiques et sociales qui traversent notre pays, la prison et les conditions de vie de nos détenus ne sont pas des sujets de préoccupation majeurs pour nos compatriotes. Pourtant, ils ne peuvent être totalement écartés du débat, restant entendu que l’état général des prisons et des personnes incarcérées ne reflète rien d’autre que les propres maux et carences de notre société.
De votre propre analyse, vous avez conscience qu’il demeure inconcevable que notre pays -réputé pour être celui des Droits de l’Homme- ne cesse de faire l’objet de constantes récriminations de la part d’organismes internationaux, qui pointent du doigt une France qui transige avec son devoir de respect absolu de la dignité humaine.
En 2005, l’ancien Garde des Sceaux Robert Badinter, exhortait exécutif et législatif à se saisir de ce qu’il considérait déjà comme une « cause nationale » pour mettre un terme définitif à cette « honte nationale ». Cette honte pour la République. Les années ont passé, les engagements se sont succédé mais la honte elle perdure.
Monsieur le Président, je crois la prison utile à condition que celle-ci ne se limite pas à la seule idée de punition. Elle doit tendre vers l’objectif final -et prioritaire selon moi- d’une réinsertion et d’une réintégration sociale. Je crois dans une prison juste où les détenus ne sont plus entassés là où il y a de la place, mais évalués sur la base des faits réels pour lesquels ils ont été condamnés, sur une échelle potentielle de dangerosité et sur la capacité de chacun à s’amender. Je crois enfin, dans une prison respectueuse des droits humains qui renie avec force la détérioration mentale et physique de nos prisonniers.
La République n’est belle et juste qu’à partir du moment où elle reste fidèle aux idéaux qui sont les siens. Lorsqu’elle reste fidèle à sa promesse. Nos prisons ne peuvent plus faire exception à cette règle. Les exemples récents de la prison de Nouméa en 2011 ou de la prison des Baumettes à Marseille aujourd’hui, résonnent douloureusement à nos oreilles.
Nous ne sommes guère nombreux à travers le pays à plaider la cause des prisons et des prisonniers. Condamnés au silence, ce Peuple des anonymes dont je revendique modestement faire partie, ne crois pas dans la fatalité d’une prison française à jamais frappée d’indignité. Le rôle et l’engagement des associations comme l’OIP ou Ban Public que vous avez salué demeurent toutefois amputés, car ces associations ne disposent pas d’un accès libre identique à celui accordé au Contrôleur Général des lieux de Privation de Liberté ou de nos Parlementaires qui n’en use qu’avec parcimonie.
A ce titre, Monsieur le président de la République, je vous demande d’ouvrir les prisons de notre pays à ces associations et aux observateurs indépendants de manière à ce qu’ils rendent compte librement à nos compatriotes de la situation réelle et catastrophique de celles-ci.
Cette mesure, symbolique par excellence, servirait en premier lieu à tordre le cou aux fantasmes populaires récurrents sur l’enfermement par un rapport libre et non faussé de la réalité et, permettrait ensuite à la France de se conformer aux règles 9 et 93.1 des Règles Pénitentiaires Européennes aujourd’hui non reconnues.
En 2005, dans un contexte particulier et personnel, j’avais interpellé le Président Jacques Chirac sur ce même thème en lui demandant de me rendre la fierté d’être français. Après cinq années de silence contraint, c’est aujourd’hui à vous que j’adresse la même supplique.
De la même manière que le Président Mitterrand et M. Robert Badinter ont marqué leur époque en faisant abolir la peine capitale dans notre pays, je ne doute pas que vous laisserez l’empreinte du Président qui permettra à nos prisons de retrouver le chemin d’une dignité perdue. La France et la République que nous chérissons méritent du courage et de l’audace.
Avec toute la déférence qu’un citoyen doit à son Chef de l’Etat, je vous prie de croire, Monsieur le président de la République, en l’expression sincère de mon plus profond respect.
Régis Sada